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Crises de 1979-80 et 2020-21 : Les grandes perturbations économiques

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Nous sommes en 1979, c’est l’année des plus grands bouleversements. C’est, entre autres, la montée en force de la chine et l’élection de la première femme Premier Ministre en Europe, Margaret Thatcher. Maurice subit pour la première fois un violent choc économique. Grâce notamment à l’aide du fmi, le pays s’en sort. 41 ans plus tard, une nouvelle crise survient. Celle-là, de nature sanitaire, paralyse aujourd’hui le monde. En un an, elle s’est transformée en hécatombe économique.

MAURICE, petit État insulaire de l’océan Indien, subit sa plus grande crise économique en 1979-1980 suite à la chute du prix du sucre sur le marché mondial, et de la crise pétrolière de l’époque. «L’impact a été énorme au point que sir Veerasamy Ringadoo, le ministre des Finances d’alors, déclare qu’il ne reste que deux semaines de réserves», se souvient Pierre Dinan. La roupie se dévalue alors de 30 % en 1979 et 20 % en 1980. L’histoire se répète mais d’une toute autre manière. Depuis l’année dernière, la crise sanitaire a entraîné un bouleversement de l’économie mauricienne, ce qui nous fait penser au bourbier économique d’il y a plus de 40 ans.

1960 : Pertes économiques liées aux cyclones

Pierre Dinan«Les deux crises sont totalement différentes. Celle d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’action humaine car c’est une épidémie, tandis que l’autre a été causée par le manque d’action et par une série de mauvaises décisions», dit d’emblée l’économiste Pierre Dinan. «Aujourd’hui, nous ne sommes guère le seul pays en difficulté.» Aux dires de ce dernier, il y a eu des erreurs politiques et économiques. Le prix du sucre a grimpé considérablement dans la première partie des années 70 si bien que le Premier ministre de l’époque, sir Seewoosagur Ramgoolam, voulait produire une tonne de sucre, ce qui est une erreur ! «Quelques années plus tard, soit en 1975, le prix du sucre chute», souligne-t-il, précisant que le plus gros choc fut en 1960 avec les cyclones Carol et Alix. «20 ans après, soit en 1980-81, ce choc débouchera sur la diversification économique du pays», dit-il

«Nous sommes dans une situation tout à fait différente : nous ne sommes guère le seul pays en difficulté» – Pierre Dinan

Rajeev Hasnah, CFA et Group Head of Financial Planning and Analysis d’Harel Mallac, trouve, lui, que le choc exogène en 1979-80 était transitoire et localisé d’une certaine mesure. L’économiste Il soutient également que Maurice n’était pas impacté par la baisse du prix du sucre sur le marché mondial en 1979-80. «La raison est parce que nous avions un quota d’exportation à des prix garantis sous la convention Lomé.» Comme Pierre Dinan, il reconnaît toutefois que l’île était touchée par des cyclones qui ont impacté drastiquement la production de sucre, avec une baisse de 30 % de la production et une chute du taux d’extraction de sucre.

Le Tourisme à terre

Cependant, selon le CFA d’Harel Mallac, le choc économique d’aujourd’hui est global et impacte pratiquement tous les secteurs d’activités. «Le secteur touristique a été le plus durement touché mais d’autres secteurs de l’économie en font les frais en raison des confinements, l’augmentation des prix du fret et le manque de devises.» Et d’ajouter que l’économie mauricienne est davantage diversifiée et résiliente, contrairement aux années 1979-80. «Le pourcentage de la dette publique était environ de 40% en 1979. Et avait atteint 50 % en 1980. Nous sommes à environ 90% aujourd’hui.»

«La crise de la Covid-19, bien que très grave, reste surmontable» – Georges Chung

Georges ChungPour l’ancien conseiller au ministère des Finances, Georges Chung, la crise passée a été davantage problématique que celle d’aujourd’hui. «Il y aura moins de risque de faillite.» Or, au cours de ces 40 dernières années, l’économie s’est beaucoup diversifiée. Chaque décennie a été marquée par l’émergence d’une grande activité différente, dont le textile et l’habillement, l’hôtellerie de luxe, les services financiers, l’offshore et la technologie de pointe, «mais la crise de la Covid-19, bien que très grave, reste surmontable».

L’aide du FMI

Pour surmonter la crise de l’époque, il a fallu l’aide du FMI, dont les Droits de tirage spéciaux (DTS) pour stabiliser la situation du pays. «Anerood Jugnauth et Paul Bérenger sont au pouvoir. Suite à des oppositions politiques, Bérenger quitte le gouvernement. Jugnauth applique la prescription du FMI. La population joue le jeu… Elle s’était rendu compte qu’elle était devenue flemmarde. Les femmes ont quitté leur maison pour travailler. D’un point de vue économique, l’apport des femmes était bon», raconte Pierre Dinan. C’est l’envol de l’économie mauricienne. La population était fatiguée des années 70. «Nous avons terminé les années 70 avec 28 jours de jours fériés par an.»

Georges Chung rappelle, lui, que les emprunts auprès du FMI avaient permis à la Banque centrale de renflouer ses caisses en attendant les effets escomptés des deux dévaluations de la roupie. «Finalement, trois – quatre ans plus tard, ce sont les investissements du textile hongkongais qui sont venus comme des messies pour ce retournement spectaculaire de notre économie.» Dans les années 1987, le pays affiche contre toute attente le plein-emploi et un surplus de la balance commerciale. «Ce sera la seule fois tout au long de notre histoire.»

Rajeev Hasnah fait rappeler que le FMI avait assisté le pays avec un programme économique et financier par un stand-by arrangement de deux ans avec pour conditions une limitation du déficit fiscal, une expansion modérée des crédits bancaires et une politique restrictive de l’augmentation des salaires. «Cela avait pour but de discipliner les dépenses publiques et de limiter une inflation galopante.»

«Le monde n’a pas besoin de nous»

En jeuEn outre, comme lors de la précédente crise, le FMI peut aider à redynamiser l’économie du pays. Selon Pierre Dinan, cela peut influencer la Banque mondiale, qui finance nos projets et, par le même biais, le pays pourrait faire l’objet d’une meilleure notation de Moody’s Investors Service, ce qui influencera ceux qui investissent à Maurice. «Nous avons l’avantage d’avoir un clean sheet. Nous avons notre réputation à défendre. Le monde n’a pas besoin de nous. Nous devons suivre les bonnes pratiques.» Toutefois, malgré le bon vouloir du FMI d’émettre les DTS à Maurice, «il semblerait qu’il y ait encore des divergences là-dessus». Il avance également qu’il faut utiliser les DTS à bon escient et non pour réaliser des projets mirobolants.

Pour l’économiste Georges Chung, les divers indices de notre économie ne chutent pas totalement, de manière à donner du fil à retordre au ministre des Finances dans son prochain discours du Budget. Il insiste aussi sur le fait qu’en 1980, la caisse était vidée de devises étrangères et qu’aujourd’hui, le ministre peut s’enorgueillir de réserves à pouvoir payer les importations du pays pendant plus de 50 mois. «Les DTS que nous allons recevoir du FMI vont davantage remplir les réserves de la Banque centrale mais l’apport ne représentera que 5 %, voire 10 % du total au grand maximum. À la limite, l’apport du FMI peut aider à stabiliser le cours de la roupie.»

Quid des leçons que Maurice peut tirer de la crise de 1979-80 ? Georges Chung laisse entendre que comme en 1980, le pays a besoin de l’apport de l’investissement et du savoir-faire en provenance de l’étranger ainsi que de l’émergence «d’une nouvelle race d’entrepreneurs». Il ajoute qu’il aura besoin, de plus, de l’appui d’une nouvelle manière de faire du secteur public, à la fois dans la forme et dans le fond. «Sinon, nous sortirons plus difficilement du marasme que la Covid nous impose.» Il en est de même pour Rajeev Hasnah. L’accompagnement du FMI, insiste-t-il, peut faire avancer les choses. «Les bonnes décisions prises à l’époque ont été bénéfiques au développement du pays.»

«Il est évident qu’il faut une bonne gestion du gouvernement et des gouvernés. Nous ne pouvons pas dire que nous n’avons pas nos fautes. Par exemple, pourquoi est-ce que notre taux d’épargne est aussi faible ? Devons-nous imputer la faute au gouvernement ou à chaque Mauricien ? Est-ce que nous consommons trop ?», donne à réfléchir Pierre Dinan. Il insiste qu’il faut consommer local et penser aux questions de l’environnement. «Il faut encourager le label Made in Moris ; nous pouvons nous passer de certains produis internationaux.»

52 200 CHÔMEURS EN 2020

La crise passée avait induit un taux de chômage de 15 % tandis que la crise sanitaire a entraîné un taux de chômage de 9,2 % en 2020. Malgré une légère différence, Georges Chung estime qu’il est encore très tôt pour tirer une conclusion compte tenu de l’assistance financière du gouvernement à payer, en partie, les employés du secteur hôtelier et ceux touchés par la fermeture des frontières. «On dit que 125 000 emplois sont concernés. Combien de personnes auraient perdu leur emploi ? Il faudra attendre l’ouverture des frontières pour connaître la vérité lorsque les hôteliers et autres se retrouveront avec la réalité de leur chiffre d’affaires, de leur compte d’exploitation et de leur bilan. Les dégâts seront sans aucun doute sans espoir de retour pour certains.» Pour Rajeev Hasnah, cela dépendra de la reprise économique postpandémie et de la création d’emplois. «Il ne faut pas oublier que nous avons environ 30 000 travailleurs étrangers à Maurice alors que le nombre de chômeurs était de 52 200 en 2020 pour une population active de 570 100.»

«Nous ne pouvons pas vivre en vase clos»

Maurice se trouve dans une position économique vulnérable dans tous ses secteurs économiques, autrefois porteurs de croissance. Georges Chung est d’avis que l’État devra faire preuve d’idées nouvelles, surtout en ce qui concerne les secteurs de l’hôtellerie et des services. Il faudra, dans le même souffle, moderniser tout l’appareil productif du pays, particulièrement les infrastructures économiques et sociales comme le port et l’aéroport, l’efficacité des routes, les institutions qui servent d’appui à la compétitivité des entreprises et de la main-d’œuvre mauricienne. «Il faudra inventer et lancer de nouvelles activités. Les pistes ne manquent certainement pas. Je consacre une grande partie de mon livre ‘Vaccinons notre économie’ à ce sujet. L’économie de la mer, l’énergie verte et la technologie, notamment la 5G, sont de véritables sources de richesse nouvelle ; il faudra savoir comment s’y prendre.» Même constat pour Pierre Dinan. Il concède que c’est le moment de revoir les stratégies économiques «depuis le coup des cyclones». «Nous avons exporté nos connaissances financières et nos services, mais le souci est que nous importons trop. Aujourd’hui, nos importations excèdent nos exportations. Nous avons vu comment la pandémie nous a causé beaucoup de tort. Est-ce que cela veut dire qu’on arrête tout ? Non. Nous ne pouvons pas vivre en vase clos.» Et d’ajouter : «Il nous faut continuer sur cette lancée, mais corrigeons-nous et importons moins».

Selon Pierre Dinan, il nous faut davantage de productions locales. «Qu’est-ce que nous faisons de nos 2,3 millions de kilomètres carrés de mer ? Y a-t-il du poisson ?»

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