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Matthieu Discour : relever le défi du développement durable

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Matthieu Discour : relever le défi du développement durable | business-magazine.mu

Le dévoilement de la stratégie de Business Mauritius et de son organisation, le 13 février dernier en présence du Premier ministre, a envoyé un signal fort sur l’importance que le secteur privé accorde au développement durable : en effet, l’organisation a choisi de se structurer en trois clusters distincts, dont l’un est consacré au développement durable et inclusif. C’est un choix stratégique qui confirme l’ambition particulière que le secteur privé a développé en la matière depuis plusieurs années.

Il est vrai qu’on assiste, partout dans le monde, à un mouvement général de rapprochement entre le secteur privé et les autorités politiques sur les questions de développement durable. C’est tout d’abord le fruit d’un changement de logique dans l’action publique, qui touche toutes les démocraties modernes : abandonnant une simple logique de «puissance publique», l’État a développé progressivement une approche dite de «services publics», qui couvre de nouvelles fonctionnalités (services portuaires, aéroportuaires, d’eau, d’énergie, etc.), dont bénéficient les entreprises et qui doivent respecter les impératifs de développement durable. Par ailleurs, la compétitivité des entreprises, traditionnellement liée aux facteurs travail ou capital, est progressivement affectée par certaines externalités négatives comme la dégradation de l’environnement et qui, à ce titre, doivent être traitées par l’action publique pour soutenir les performances des acteurs économiques nationaux. Enfin, avec la montée des enjeux globaux, les entreprises tout comme l’État sont soumis à des obligations de redevabilité accrue vis-à-vis de la société civile : ils doivent donc collectivement créer des systèmes de collaboration pour anticiper et gérer ces légitimes questionnements.

À Maurice, on assiste à un mouvement original dans lequel le secteur privé s’installe comme partenaire des pouvoirs publics, dans la gestion de certaines politiques de développement durable. Le Programme national d’Efficacité Énergétique (PNEE) est le meilleur exemple de cette tendance, avec un programme d’audit en matière d’efficacité énergétique qui touchera à terme une centaine d’entreprises y ayant volontairement souscrit. Ce programme a été conçu par Business Mauritius en dialogue constant avec le ministère de l’Énergie et des Utilités publiques (MEPU), pour adresser de manière systémique un enjeu de déve- loppement durable, susceptible de permettre d’économiser 40 MW d’énergie pour le pays. Smart agriculture, programme remarquable initié par la Chambre d’agriculture, est également bâti sur un engagement des entreprises de réduire leur consommation de pesticides, et d’explorer de nouvelles modalités culturales afin de trouver un nouvel équilibre entre profitabilité et durabilité. Ce programme, encore en phase pilote, pourrait fixer à terme de nouveaux standards de production. D’autres champs restent à explorer, dont certains sont déjà à l’agenda des parties prenantes, comme la gestion des déchets électriques et électroniques pour laquelle la Chambre de Commerce et d’Industrie de Maurice (MCCI) et le ministère de l’Environnement ont signé un protocole d’entente en 2016 ;mais pourquoi pas aussi, bientôt, l’assainissement liquide en milieu industriel, la gestion de la ressource en eau, la gestion des zones côtières, etc. 

La diffusion à grande échelle de ces programmes, souvent basés sur le volontariat, ne se substitue pas formellement aux dispositifs normatifs. Et il serait dangereux d’abolir cette frontière car la puissance publique doit garder encore la prérogative de définir le cadre réglementaire et d’assurer la police du développement durable. Mais ces programmes préparent le terrain à la mise en œuvre de politiques publiques spécialisées, d’une part, en créant un écosystème favorable à leur diffusion, d’autre part, en réduisant le hiatus entre la nécessaire recherche de compétitivité et les impératifs de développement durable, grâce à une large panoplie d’appuis mutualisés en terme de diagnostic, de faisabilité, et d’aide à l’investissement.

La réussite exemplaire de ces programmes à Maurice est tout d’abord liée au mouvement général de rapprochement entre le secteur privé et le gouvernement : de nombreux mécanismes existent déjà, et le processus budgétaire demeure, par exemple, un modèle de concertation abouti entre les deux parties. Maurice Ile Durable, en son temps, avait aussi démontré la forte implication du secteur privé dans les processus participatifs au service du développement durable. Ensuite, les entreprises mauriciennes ont intégré leur responsabilité envers l’environnement : la plupart se sont dotées de stratégies en matière de responsabilité sociale et environnementale, ont engagé des ressources humaines dédiées, se sont engagées dans des processus de certifications internationales. Enfin, le secteur public reste souvent ouvert à ces innovations, les stimule et les appuie. Le rôle du ministère de l’Énergie et des Utilités Publiques est décisif dans la réussite du PNEE, à tel point que les méthodologies éprouvées dans le PNEE se diffusent progressivement à la sphère publique, à l’instar de la Central Water Authority (CWA) qui a intégré un programme d’audit.

Au final, l’Agence française de Développement (AFD) est très sensible à l’originalité de ce modèle mauricien associant le secteur privé et la puissance publique. Premièrement, il comporte une dimension transformationnelle très supérieure à la moyenne, grâce à son approche progressive (cartographie méthodique, avec le rôle pionnier de l’Association of Mauritian Manufacturers – AMM – dans le cas du PNEE ; puis projet pilote ; puis généralisation), écosystémique (création d’un marché, avec une offre structurée en matière d’audits d’une part, et une demande accompagnée par de l’assistance technique, de l’autre), et multisectorielle (l’efficacité énergétique, puis l’agriculture durable, et demain ?).Deuxièmement, elle est une œuvre partenariale : l’Union européenne accompagne le mouvement, avec des financements importants pour le secteur privé, reconnaissant ainsi que celui-ci peut être aidé lorsqu’il contribue à l’atteinte d’objectifs d’intérêt général. La Région Réunion a également apporté son soutien via la mise à disposition d’une expertise. Et l’AFD complète le dispositif avec les lignes de crédit SUNREF. Troisièmement, ce modèle contribue à l’atteinte des objectifs que la France et Maurice partagent à l’échelle internationale : l’adaptation au changement climatique et l’atténuation sont au cœur de la contribution nationale déterminée de Maurice. La France peut appuyer sa mise en oeuvre. Et la contribution du secteur privé, en partenariat avec l’État, est un atout qui singularisera Maurice sur la scène internationale.