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Interview Rencontre

«Les Electronic Health records et les Health it sont une approche dépassée»

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Pranavsingh Dhunnoo (Médecin-Chercheur)

Concis, argumenté et appuyé par les interventions de spécialistes de la santé numérique, Pandemic and Beyond balise les voies à emprunter pour un système de santé digital réussi. Dans le sillage du lancement officiel de son ouvrage localement, l’auteur, Pranavsingh (Prans) Dhunnoo, médecin-chercheur mauricien formé à la Semmelweiss University de Budapest et spécialisé dans la santé numérique, évoque les blocages potentiels que le projet national mauricien devrait contourner

La pandémie de la Covid-19 a secoué sur ses bases les systèmes de santé publique à travers le monde. Des systèmes et structures informatisés permettent-ils de réduire la pression sur le personnel et la capacité d’accueil et de soins ?

La pandémie nous a obligés à repenser la manière dont nous dispensons les soins. Il est vraiment regrettable que cette crise ait conduit à ce changement de paradigme. Heureusement, les solutions de santé numériques étaient des outils prêts à l’emploi pour relever plusieurs défis que la pandémie et ses restrictions nous ont lancés. Grâce à la télémédecine, les patients peuvent rester en contact avec leurs médecins à distance ; grâce aux capteurs de santé personnels, les patients peuvent collecter leurs données de santé à domicile et les partager avec leurs médecins pour en tirer des enseignements à distance ; grâce à ces outils, les médecins peuvent conseiller aux patients de se rendre physiquement dans un établissement de santé uniquement lorsque des tests supplémentaires sont nécessaires. Une telle approche permet de dispenser efficacement des soins à distance et est bien adaptée aux futures crises de santé publique où les contacts physiques sont limités, voire de fournir des soins de meilleure qualité dans les zones reculées.

Avec une telle relation médecin-patient, un volume important de consultations externes peut être déchargé vers des consultations à distance, seuls les cas nécessitant une attention plus soutenue devant se rendre physiquement dans un hôpital. Cela peut réduire la pression sur ces établissements et sur le personnel médical, et contribuer à une meilleure gestion des ressources hospitalières.

«La télémédecine permet de dispenser efficacement des soins à distance quand les contacts physiques sont limités»

Puisque vous avez mentionné les «systèmes et structures informatisés», il est important de noter qu’avec la santé numérique, nous ne nous appuyons pas sur les Electronic Health Records (EHR) et le health IT, qui peuvent, à l’inverse, accroître la pression de travail du personnel médical. Certaines enquêtes montrent que jusqu’à 70 % des médecins ne sont pas satisfaits des systèmes d’EHR qu’ils utilisent, et que les médecins passent en moyenne la moitié de leurs journées de travail uniquement à saisir des données avec ses dispositifs alors qu’ils n’en passent que 27 % avec leurs patients. Les EHR sont même perçus comme le défi numéro un par 37 % des médecins américains. Cela réduit le temps que les médecins peuvent passer avec (ou allouer à) leurs patients. Les EHR et les health IT sont aujourd’hui une approche dépassée, d’autant plus qu’il existe aujourd’hui des technologies plus efficaces qui peuvent prendre en charge les tâches répétitives et libérer le temps précieux du personnel médical, qu’il peut consacrer à ses patients. La technologie de conversion de la voix en texte pour les soins de santé, développée par Nuance, est un exemple de technologie capable de supplanter les EHR manuels et la nécessité de saisir manuellement les données.

«À Maurice, le Digital Literacy est un défi à relever pour la mise en œuvre de systèmes numérisés»BM1506 PANDEMIC AND BEYOND

Depuis les années 90, l’idée d’instaurer un système de santé informatisé est évoquée, et sous l’actuel gouvernement, il en est question depuis le début de son mandat. Qu’est-ce qui freine l’aboutissement d’un tel projet appelé à réformer, et surtout alléger les dépenses budgétaires, pour le secteur de la santé publique ?

Ceux qui ont géré et gèrent actuellement ce projet au niveau local peuvent probablement mieux répondre à cette question, mais lorsque vous analysez les raisons pour lesquelles les stratégies de santé numérique ne parviennent pas à décoller efficacement dans les pays du monde entier, trois raisons principales ressortent ; et ceux qui gèrent le projet au niveau local pourraient être confrontés à des problèmes similaires.

Tout d’abord, l’accent est souvent mis sur le health IT et l’intégration des Electronic Health Records (EHR), comme je l’ai mentionné plus tôt. Pour cela, il faut disposer de l’infrastructure informatique en place et/ ou la mettre à jour, ce dont les hôpitaux publics de l’île Maurice sont dépourvus. Les frais généraux peuvent constituer un défi à cet égard. De plus, l’accent sur l’informatisation des structures de santé peut être une raison du blocage, comme je l’ai mentionné dans mon livre Pandemic And Beyond. Par exemple, le système de santé national britannique a enregistré un échec dans la mise en service de programmes informatiques tandis que le système de santé australien a subi des problèmes de cybersécurité dans la mise en application d’approches d’informatisation des structures de santé. Si l’informatisation des systèmes de santé pouvait être une approche viable dans les années 90, à l’ère de la santé numérique, de nouvelles technologies disruptives peuvent être privilégiées, comme l’intelligence artificielle portée sur la médecine, les capteurs de santé, les dispositifs portables facilitant la télémédecine…

Deuxièmement, l’échec de la numérisation des systèmes de santé peut être attribué à un manque de compréhension de la nécessité d’une transformation culturelle. Même dans un pays comme l’Allemagne, qui a fait des progrès pour devenir un leader de la santé numérique, McKinsey rapporte que, pas plus tard qu’en 2019, 93 % des médecins communiquaient encore avec les hôpitaux sur papier, alors que 44 % de tous les établissements de santé échangeaient des données médicales par voie numérique. De nombreux médecins et pharmaciens outpatients restent sceptiques à l’égard des solutions numériques Une troisième raison qui ressort est que les décideurs politiques n’en savent pas assez sur les technologies numériques de santé. Étant donné que celles-ci proviennent d’un domaine émergent et qu’elles ne sont pas très répandues malgré leur viabilité, il se peut que les décideurs ne soient tout simplement pas au courant de ces options et qu’ils investissent plutôt dans des outils moins efficaces.

À Maurice, un autre défi à relever pour la mise en œuvre de systèmes numérisés serait le digital literacy. Mais cela ne doit pas être considéré comme un obstacle, mais comme une opportunité de faire avancer la nécessité d’une transformation culturelle.

À peine investi dans ce projet que l’île Rodrigues a devancé l’île Maurice en février 2020 avec la première phase de la mise en service de son système d’e-health…

Cela peut paraître surprenant au premier abord que Rodrigues nous ait devancé dans la mise en place d’un système de santé électronique, mais en y regardant de plus près, ce n’est pas vraiment surprenant. Le principal facteur contribuant est la petite taille de Rodrigues. Cela permet à un tel système d’être mis en œuvre plus rapidement, d’être plus facilement géré et donc d’avoir une longueur d’avance dans ce domaine.

La petite taille d’un pays est également l’un des avantages pour mettre en œuvre avec succès une stratégie de santé numérique, ont souligné les experts auxquels j’ai parlé dans mon livre. L’île Maurice a également une taille relativement petite dont elle peut tirer parti pour le décollage d’une stratégie de santé numérique.

Est-il pertinent d’introduire cette solution à Maurice, compte tenu de l’accès élevé et de la couverture du pays en offre de prestations médicales ?

Nous pouvons encore faire mieux et améliorer l’image que nous avons d’un système de santé numérisé. En effet, nous avons un accès et une couverture élevés des services médicaux à Maurice, mais cela équivaut-il à des services efficaces ? Dans les hôpitaux publics, il faut encore se rendre physiquement dans un établissement, faire la queue et, dans certains cas, espérer que son dossier n’a pas été perdu ou égaré, pour obtenir des informations comme une radiographie récente. Pourquoi ne pas les mettre à la disposition des patients où qu’ils se trouvent grâce à une application ou un service en ligne sécurisé ? De nombreux villages ne disposent que de dispensaires rudimentaires où les médecins ne sont disponibles qu’occasionnellement et où des électrocardiographes et autres appareils à ultrasons ne sont pas disponibles. Et les patients doivent dépenser plus de temps en déplacement pour se rendre dans un hôpital équipé de ses appareils.

«De nombreux médecins et pharmaciens outpatients restent sceptiques à l’égard des solutions numériques»

Avec une approche de santé numérique, ces dispensaires pourraient être transformés en centres de santé numérique grâce à des appareils de diagnostic portables. Des moniteurs d’électrocardiographe portables comme ceux d’AliveCor et les appareils à ultrasons portables comme le Philips Lumify peuvent être utilisés par des non-spécialistes qui peuvent même être guidés par un spécialiste lors d’une consultation de télémédecine. Les enregistrements peuvent ensuite être envoyés à des spécialistes à distance pour une analyse plus approfondie et ils peuvent alors indiquer si le patient a besoin de soins supplémentaires dans un hôpital.

Avec une telle approche, l’expérience du patient sera améliorée et la charge de travail du personnel médical sera réduite puisque les patients seront soignés à distance et que la charge de travail des patients externes pourra être répartie dans davantage d’établissements de santé, même non spécialisés. Je pense que chacun d’entre nous peut trouver une telle approche des soins de santé très pertinente dans notre île.

Avez-vous effectué une évaluation du niveau de préparation de Maurice à adopter cette révolution numérique dans son système de santé publique ?

L’indice de préparation ne doit pas être orienté uniquement vers la communauté médicale mais doit également intégrer les patients. Le personnel médical peut être réticent à adopter de nouvelles compétences et de nouveaux outils, mais cela vaut également pour les patients. Chaque partie prenante du paysage des soins de santé doit être sensibilisée aux avantages (et aux inquiétudes) qui accompagnent ces nouveaux outils, et c’était également l’un des principaux objectifs de mon livre. En l’écrivant, j’ai contacté Justin Barad, P-DG et cofondateur d’Osso VR, une plateforme de formation chirurgicale, qui m’a dit que l’essai de la technologie représente 90 % de la bataille, car il répond à de nombreuses questions ou préoccupations des gens.

Les patients et les médecins doivent être ouverts à l’idée d’essayer les nouvelles technologies et de profiter de leurs avantages, tandis que les régulateurs veillent à ce que les données recueillies soient utilisées de manière sécurisée et responsable. C’est ce type de réflexion latérale qui est nécessaire pour une adoption efficace de la santé numérique et nous devrions y travailler plus rapidement si nous voulons transformer efficacement notre système de santé.

Pranavsingh Dhunnoo (Médecin-Chercheur)Pandemic And Beyond est disponible en librairie à Rs 275. La version digitale de l’ouvrag de Pranavsingh (Prans) Dhunnoo est accessible sur LeanPub : https://leanpub. com/pandemic_and_ beyond

 

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