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CSR : la tourmente

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CSR : la tourmente | business-magazine.mu

La création d’un Corporate Social Responsibility (CSR) Framework, tel qu’annoncé dans le Budget, contraindra les entreprises à verser au moins 50 % de leur fonds CSR à la National CSR Foundation. Une décision qui suscite interrogations et inquiétudes chez les acteurs du secteur.

Depuis 2009, les entreprises mauriciennes doivent créer un fonds CSR (Corporate Social Responsibility), alimenté par l’équivalent de 2 % de leurs revenus taxables. Ce fonds étant destiné à financer des organisations non gouvernementales (ONG) dûment enregistrées et des programmes d’aide envers les plus démunis, principalement. Avant le dernier exercice budgétaire en date du 29 juillet, la seule contrainte imposée aux compagnies était celle de reverser à la Mauritius Revenue Authority toute somme du fonds CSR demeurée inutilisée. Elles pouvaient donc parrainer les associations qu’elles avaient elles-mêmes sélectionnées et selon les sommes qu’elles souhaitaient. Le Budget 2016-17 est venu changer la donne.

Le nouveau CSR Framework, dont la mise sur pied a été annoncée par le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, prévoit la création d’une National CSR Foundation. Celle-ci viendra remplacer le défunt National CSR Committee mais avec un mandat beaucoup plus orienté vers le financement des organisations de la société civile. Gérée conjointement par les secteurs public et privé, la National CSR Foundation percevra au moins 50 % des fonds CSR des compagnies privées, ainsi que toute contribution CSR non dépensée par celles-ci. D’une certaine façon, estime le Head of CSR d’une entreprise figurant dans le Top 100 Companies, «l’État reprend le contrôle de la gestion des fonds CSR».

Les sociétés privées et les fondations y afférentes se retrouveront dans une situation où elles ne pourront plus poursuivre leurs programmes CSR ou financer les ONG, comme elles le faisaient auparavant. Les choses devraient même empirer si le seuil de 50 % passe à 75 %, comme prévu par le Grand argentier. Aussi, pour certains acteurs du secteur, l’État devrait attendre deux ans avant d’augmenter la contribution des entreprises de 25 %. Ils sont également d’avis que l’on ne peut plus parler aujourd’hui de Corporate Social Responsibility car qui dit CSR, dit actions ou programmes mis en œuvre par le privé. Dans le cas présent, poursuivent nos interlocuteurs, «c’est tout simplement une taxe sociale qui devrait être appelée ‘Corporate Social Tax’».

Ne pas bousculer les projets en cours

Delphine Bouic, de la Fondation Ciel Nouveau Regard, n’y va pas par quatre chemins : selon elle, de nombreuses ONG sont actuellement parrainées par des fondations privées qui ne pourront plus assumer cette fonction. «Il est donc impératif que la National CSR Foundation prenne le relai afin d’éviter que le bon travail des ONG sur le terrain soit mis à mal», insiste-t-elle. Et d’ajouter qu’«il est aussi important que ce processus s’opère selon des règles claires, des critères de financement pertinents et des principes de transparence suivis à la lettre».

Delphine Bouic est d’avis que l’État n’a aucun intérêt à ce que les «bonnes ONG» ferment ou réduisent leurs activités, «car ce sont elles les partenaires de terrain qui ont énormément œuvré pour réduire l’exclusion à Maurice». Elle affirme, à l’appui de ses propos, que «nos douze années d’expérience nous ont prouvé l’efficacité des actions menées auprès des bénéficiaires

La CSR & Sustainability Manager de Rogers, Audrey d’Hotman de Villiers-Desjardins ne mâche pas non plus ses mots. Ce nouveau cadre, pense-t-elle, diminue de moitié, et peut-être plus, le lien créé entre le secteur privé et les ONG.

Une autre conséquence des mesures annoncées, explique-t-elle, est qu’avec un budget fonctionnel réduit de 50 %, les fondations qui avaient pris des employés pour s’occuper des projets CSR risquent d’avoir à les remercier, à moins que ces projets obtiennent l’approbation de la nouvelle National CSR Foundation.

Force est de reconnaître, continue Audrey d’Hotman de Villiers-Desjardins, que «le monde des ONG a fait un bond gigantesque en cinq ans, notamment en matière de gestion, de professionnalisation de leurs services ou encore de ‘monitoring’, d’évaluation et de ‘reporting’. Leur capacité à s’unir et à plaider en faveur de causes communes s’est elle aussi améliorée». À titre illustratif, notre interlocutrice mentionne le fait que 80 ONG se soient rassemblées dans le but d’exprimer leurs craintes et besoins par rapport au dernier Budget.

Soutien à la lutte contre la pauvreté

Revenant sur la décision de Rama Sithanen, ancien ministre des Finances, d’établir une taxe CSR de 2 %, Audrey d’Hotman de Villiers-Desjardins rappelle que l’une de ses motivations «était que le secteur privé donne un coup de main direct à la lutte contre la pauvreté». La CSR & Sustainability Manager de Rogers soutient, en outre, que Sithanen «aurait pu avoir simplement augmenté la taxe à 17 %, mais il avait compris la valeur ajoutée que représente le transfert de compétences du privé au social. Et c’est effectivement ce qui s’est passé, mais sans être chiffré ou évalué».

D’après Audrey d’Hotman de Villiers-Desjardins, 50 % des fonds CSR du privé, cela équivaut à une somme «énorme» : environ Rs 300 millions, voire davantage. Par conséquent, argue-t-elle, il sera très difficile pour une seule fondation de gérer les dotations à attribuer à une multitude d’ONG différentes. «La première année verra probablement un engorgement auprès de cette nouvelle structure, ce qui causera de la frustration parmi les ONG», anticipe-t-elle. Sa suggestion : «Pour aider le National CSR Framework, il faudrait mettre de l’ordre dans le monde des ONG locales, tel que travaillé en 2002, conjointement avec le Mauritius Council of Social Service, le ministère de la Sécurité sociale et le Programme des Nations unies pour le développement».

Un projet de loi avait même été rédigé en ce sens par la Law Reform Commission, mais n’a jamais été présenté à l’Assemblée nationale, souligne Audrey d’Hotman de Villiers-Desjardins. Et de conclure de manière catégorique : «Il y a trop d’ONG inscrites au Registrar of Associations ; l’on doit déterminer lesquelles sont réellement efficientes et utiles aux personnes vulnérables

Garder la bonne dynamique

Au niveau de Business Mauritius, on estime qu’il est important de créer une culture d’engagement pérenne du privé dans les projets sociaux. «Le but du CSR est d’inciter les entreprises à s’engager dans la communauté et il ne faudrait pas que des contraintes mettent un frein à l’élan déjà pris. Les membres de Business Mauritius sont d’avis qu’il faut absolument trouver la bonne formule pour que ce nouveau framework opère de façon fluide et efficace», souligne Raj Makoond, CEO de Business Mauritius. «Il est donc primordial de se mettre d’accord sur le bon mécanisme de partenariat entre le secteur privé et la Fondation Nationale pour ne pas perdre le momentum déjà acquis» ajoute-t-il.

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