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Réformes à quoi il faut s’attendre ?

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Alors que l’on peut entrevoir les premières lueurs de la reprise, l’heure est à un changement de paradigme. C’est d’ailleurs la mission que s’est donné le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui a déclaré que le Budget 2021-2022 fera l’équilibre entre la relance et des réformes vitales pour la reconstruction de l’économie. Une initiative louable mais qui aura un coût et sera compliquée à mettre en œuvre dans la conjoncture actuelle. À quoi s’attendre ?

La crise a eu un effet dévastateur sur l’économie mauricienne qui s’est contractée de 14,9 % en 2020. Certes, le pays est à nouveau en confinement, mais l’espoir d’une reprise se renforce, car d’une part, la campagne de vaccination avance de manière satisfaisante. Et de l’autre, les États-Unis, la plus grande puissance mondiale et le pays le plus touché par la pandémie, devraient enregistrer un fort rebond au second semestre.

C’est dans ce contexte de sortie de crise et de reconstruction du tissu socio-économique que le ministre des Finances présentera le Budget 2021- 2022. Dans une récente déclaration, Renganaden Padayachy a donné quelques pistes par rapport à ce que sera la ligne directrice de la loi de finances. D’abord, un constat s’impose : la crise a sérieusement amoindri notre capacité de production de biens et de services. Du reste, comme l’a récemment fait ressortir AXYS, l’économie fonctionne à environ 85 % de sa capacité.

Dans son premier Budget, Renganaden Padayachy n’a eu d’autre choix que d’adopter une posture défensive en recourant à des mesures exceptionnelles, comme se tourner vers la Banque de Maurice pour obtenir un soutien de Rs 60 milliards afin de trouver un équilibre budgétaire. À quoi s’attendre pour le deuxième budget de Padayachy ? Tout porte à croire que le Grand argentier sera plus proactif dans son approche vu que nous avons une certaine visibilité quant à la sortie de crise. Et comme il l’a souligné, le Budget reposera sur deux piliers : la relance et les réformes. Qu’on se le dise, l’exercice sera complexe étant donné que sa marge de manœuvre est réduite, avec les recettes fiscales qui ne devraient pas dépasser les Rs 90 milliards.

Pour financer le Budget et le plan de réforme, le Trésor public devra inévitablement s’appuyer sur l’aide étrangère, quitte à faire grimper la dette publique, actuellement calculée à 84,5 % du PIB. Qu’est-ce qu’implique la réforme ? C’est un changement de cap pour ne pas dire de paradigme. Une démarche salutaire puisque le pays a besoin d’un nouveau départ. En 2006, le ministre des Finances d’alors, Rama Sithanen, avait initié les grandes réformes économiques basées sur le modèle de l’Irlande. Celles-ci s’articulaient autour de deux axes : une fiscalité plus légère avec l’adoption d’un taux uniforme de 15 % pour l’Income tax et la Corporate tax, et la facilitation des affaires. Ces changements profonds d’ordre structurel ont permis de consolider les bases de l’économie mauricienne, qui a ainsi pu résister au choc de la crise de 2007-2008.

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PRIORITÉ À LA RELANCE

Aujourd’hui, le contexte est différent. Le but de la réforme doit être non seulement de bâtir la résilience, mais aussi de remettre debout une industrie touristique en mort clinique. Il s’agira aussi de réformer l’État et ses institutions. La réforme doit aussi toucher notre secteur agricole, si vital à notre sécurité alimentaire, ainsi que le secteur manufacturier. De même, il nous faudra bâtir un service de santé publique efficient. Et accélérer notre transition écologique et numérique. Sur le plan commercial, la stratégie africaine devra prendre tout son sens. Dans toute cette réflexion, il ne nous faudra pas faire l’impasse sur l’importance d’une politique d’ouverture.

LES CARTES À LA DISPOSITION DU MINISTRE DES FINANCES

Si, d’après les prévisions, les recettes fiscales pour l’année fiscale 2020-2021 s’établiront en dessous de la barre des Rs 90 milliards, les Rs 60 milliards que le Trésor public a obtenues de la Banque de Maurice devraient être rappelées à notre bon souvenir, fait ressortir Eric Ng. «Selon des données publiées sur le site Web de Statistics Mauritius pour la période de juillet 2020 à février 2021, il semble que Rs 53 milliards ont été transférées jusqu’ici, et il reste un surplus de Rs 14 milliards de revenus par rapport aux dépenses totales. Mais en raison du second confinement, Rs 2 milliards seront déboursées aux entreprises et aux travailleurs indépendants. Donc, valeur du jour, le ministre des Finances a encore Rs 19 milliards (Rs 60 milliards moins Rs 53 milliards plus Rs 14 milliards moins Rs 2 milliards) à sa disposition. S’il ne les dépense pas d’ici à la fin de juin, il aura une bonne marge de manœuvre pour la prochaine année fiscale (2021-2022)», analyse Eric Ng. Pour financer le Budget, l’autre option serait de se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI), soutient Pierre Dinan. «Nous n’en sommes pas encore là, mais ce n’est pas mauvais de rappeler l’épisode de 1979, quand le ministre des Finances d’alors, Veerasamy Ringadoo, avait déclaré que les réserves de devises étrangères étaient équivalentes à nos importations d’une semaine. Maurice avait par la suite pu sortir de cette mauvaise passe grâce au soutien du FMI», rappelle-t-il.

 

De l’avis de l’économiste Kevin Teeroovengadum, Maurice doit impérativement relancer la machinerie économique en s’appuyant sur des réformes majeures. Avec une forte contraction économique, comme la croissance négative de 15 % du PIB enregistrée en 2020, sans compter un processus de reprise beaucoup plus lente qui prendrait de nombreuses années avant de revenir aux niveaux pré-pandémiques de 2019, le pays est vulnérable. Mais c’est peut-être un mal pour un bien finalement, laisse entendre Kevin Teeroovengadum, qui croit que la crise économique inédite que traverse le pays actuellement peut être source d’opportunités transformationnelles.

«Étant donné que Maurice n’a pas enclenché les réformes structurelles indispensables au cours de la dernière décennie, le pays devra faire face à un certain nombre d’obstacles au cours des cinq prochaines années. Maintenant que le ministre des Finances est acculé au mur, que les solutions faciles ont été épuisées, il ne lui restera plus d’autre choix que de relancer l’économie grâce à des réformes majeures. C’est maintenant ou jamais, et j’espère que le ministre des Finances s’engagera à prendre des décisions nécessaires, voire mêmes impopulaires, une fois pour toutes pour un meilleur avenir pour Maurice», argue Kevin Teeroovengadum. Avec une économie mauricienne tournant au ralenti, estime l’économiste Pierre Dinan, l’occasion est propice pour instaurer des réformes structurelles, d’autant plus qu’elle a subi un choc depuis l’apparition de la Covid-19 en mars 2020. «Il faut relancer, mais c’est aussi l’occasion de revoir nos faiblesses. Je trouve que c’est une très bonne attitude de la part du ministre de vouloir jouer tant sur le front de la relance que des réformes essentielles pour le Budget 2021-2022», soutient-il.

Capitaine d’industrie de carrière et homme d’affaires chevronné, Tim Taylor, qui occupe présentement le poste de président du conseil d’administration de Scott & Co, s’intéresse de près au débat sur les réformes économiques. Cet ex-diplômé en Industrial Economics est d’avis que la priorité absolue devrait être dans l’immédiat la relance de l’économie. Et pour que la mayonnaise monte plus vite, il nous faut tabler, selon lui, sur des recettes que l’on maîtrise. «Nous devrions nous concentrer sur ce que nous savons être efficace, car c’est ainsi que nous pouvons obtenir des résultats rapides. Oui, à terme, nous devrons envisager de nouveaux éléments, tels qu’une intégration plus étroite avec l’Afrique et l’économie bleue, mais tout cela prendra du temps et il y aura des défis (actuellement inconnus) à relever», conseille-t-il.

Selon lui, les réformes ne vont pas seulement détourner les ressources du programme de relance, mais également en tirant les gens de leurs zones de confort, risquent d’être difficiles car elles drainent beaucoup d’énergie et prennent du temps, explique Tim Taylor.

CSG : UNE RÉFORME DE LA PENSION OU PAS ?

Dans la conjoncture actuelle, le gouvernement peut-il se permettre de poursuivre la réforme du système de pension ? L’économiste Pierre Dinan soutient que, par bien des aspects, la Contribution sociale généralisée (CSG) ne s’apparente pas à une réforme. «Est-ce que c’est une réforme ou est-on en train de demander à presque toute la population de financer des pensions payables en 2023 ? N’est-ce pas tout simplement une ponction générale afin de faire financer des pensions payables uniquement à une catégorie de personnes, à savoir les personnes âgées ?», se demande-t-il. L’économiste Eric Ng partage le même avis. La CSG s’apparente plutôt à une nouvelle taxe, dit-il. La conjoncture actuelle se prête à une réforme systémique de la pension de vieillesse, car le gouvernement ne disposera pas des revenus nécessaires pour soutenir les dépenses croissantes de la pension de vieillesse sur une base universelle dans les années à venir. «De toute façon, le système sous sa forme actuelle va imploser tôt ou tard avec le vieillissement rapide de la population», affirme-t-il. Quant à Tim Taylor, il est d’avis que la problématique du système de pension étant «une problématique de la plus haute importance», elle mérite un débat dépassionné, et hors du domaine politique. «Un comité devrait être mis en place au niveau national pour examiner et faire des recommandations sur l’âge de la retraite, le montant de la pension et son financement. Ce comité devrait comprendre des représentants de la société civile, du gouvernement, de l’opposition, des syndicats et des personnes compétentes en matière d’assurance-vie. Cependant, ce n’est pas le moment de le faire, car notre priorité absolue doit être la relance de notre économie», insiste-t-il.

 

«Je pense que les efforts de départ et l’investissement devraient être alloués aux secteurs que nous savons pourront marcher pour Maurice, à l’instar du tourisme, des services financiers, de l’externalisation des services, et du développement immobilier. Nous savons que nous disposons de clients ou de clients potentiels dans ces secteurs. Pour le tourisme, nous devons nous mettre d’accord sur des protocoles qui faciliteront la venue des touristes, tout en minimisant les risques sanitaires pour la population locale. Avec les problèmes majeurs que rencontre Air Mauritius, nous devons nous assurer que nous avons une connectivité et une capacité adéquates sur nos principaux marchés touristiques. Concernant le secteur financier, nous sommes maintenant sur une liste grise, une liste noire et une liste rouge ! Cela fait déjà fuir des clients potentiels de Maurice. Nous savons ce que nous devons faire pour sortir de ces listes. Le gouvernement doit maintenant apporter des changements à l’échelle des organismes de réglementation et d’application de la loi qui donneront aux organismes internationaux confiance que nous sommes sérieux dans nos engagements sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme», fait ressortir Tim Taylor.

OBTENIR DES RÉSULTATS RAPIDES

Comme pour le programme de relance, explique l’homme d’affaires, la meilleure formule pour le Budget 2021-2022 serait qu’on se concentre sur les domaines qui donneront des résultats rapides. «Par exemple, il y a la gouvernance dans le secteur public. Ce n’est pas sorcier. Il y a un bon nombre de Mauriciens qui sont à la fois compétents et intègres et qui pourraient être nommés aux conseils d’administration des entreprises publiques. De même, il n’y a aucune raison pour qu’il n’y ait pas une coopération plus étroite entre le secteur privé et le gouvernement», souligne-t-il. Une véritable réforme, explique le directeur de PluriConseil, Eric Ng, s’emploie à libérer les entreprises des contraintes de faire des affaires. «Il s’agit de réglementations inutiles qui étouffent l’initiative privée, des obstacles bureaucratiques qui retardent le démarrage de projets, des inefficacités dans les services publics qui entraînent des coûts opérationnels pour les opérateurs économiques, des gaspillages et des dépenses superflues dans le secteur public qui alourdissent la fiscalité, et des rigidités dans les fonctionnements des marchés qui brouillent les signaux des prix et créent de mauvaises allocations de ressources dans l’économie», étaye-t-il. En matière de priorités, les réformes à instaurer devraient relancer l’investissement privé et l’exportation. Le secteur privé, explique l’économiste, devrait être encouragé à investir dans la modernisation des processus de production, de commercialisation et de distribution, dans les nouvelles technologies de travail et dans la diversification sectorielle. «C’est ainsi que les entreprises privées vont créer de la croissance, et partant de cela, de nouveaux emplois. En outre, il faut stimuler l’exportation de biens et de services pour faire rentrer des devises dans le pays. Ce n’est pas seulement les exportateurs industriels qu’on doit aider, mais aussi les professionnels de services. Pour faire redémarrer le tourisme, il faut avoir une stratégie réaliste de réouverture des frontières le plus tôt possible. On ne peut pas attendre d’avoir une nouvelle stratégie de ‘rebranding’ pour faire revenir les touristes dans le pays», ajoute-t-il.

Dans tout ce débat sur les stratégies de relance et les réformes à adopter, il est essentiel de ne pas faire d’amalgame. Ainsi, comme le rappelle Eric Ng, les politiques macroéconomiques – fiscales et monétaires – s’inscrivent dans le court terme. Alors que les réformes sont d’ordre structurel et se situent dans les moyen et long termes. «Si le ministre des Finances ne fait que de la relance, la situation économique ne s’améliorera pas forcément. La preuve, c’était son approche l’année dernière, mais le chômage s’est accru, dépassant la barre des 10 %, et l’inflation a resurgi. Les politiques de plein emploi (relance) n’auront pas des résultats probants sans que le marché du travail ne soit rendu flexible (réforme), car la cause du chômage est davantage un manque de compétences qu’une insuffisance de la demande globale», observe-t-il.

Prioriser en même temps la relance et les réformes. Avoir une approche court-termiste tout en enlevant les rigidités dans le système qui permettront de planifier le développement à moyen et long termes. C’est le difficile pari que le ministre des Finances aura à relever.

POURQUOI PAS UN BUDGET RÉFORMISTE AXÉ SUR LE CAPITAL HUMAIN ?

Dans son premier Budget, le ministre des Finances s’est attelé à réagir aux effets pervers de la Covid-19 sur plusieurs pans de l’économie mauricienne en 2020. Pour son deuxième exercice budgétaire, Renganaden Padayachy serait inspiré d’amorcer un programme de relance tourné vers le capital humain, qui est la principale ressource du pays, insiste Kevin Teeroovengadum. «On ne peut plus continuer à jouer à l’autruche. Le ministre des Finances doit faire preuve d’audace, et il peut marquer l’histoire s’il va de l’avant avec toutes les réformes essentielles qui s’imposent. Cependant, toutes ces réformes peuvent être activées que si vous appliquez ce que j’appelle la ‘Master key solution’ qui débloquera toutes les autres solutions. Nous avons besoin que le ministre mette l’accent sur le capital humain. Nous avons besoin des bonnes personnes compétentes dans nos institutions et tout le reste coulera automatiquement. Prenons l’exemple de Singapour ; un tiers du discours du Budget est axé sur le capital humain», argue l’économiste.

REDONNER SES LETTRES DE NOBLESSE A L’AGRICULTURE

DANS le cadre de la réflexion sur les réformes qu’il faut enclencher pour construire notre économie sur des bases plus solides, il est nécessaire qu’on mette en place une stratégie pour redonner ses lettres de noblesse à notre secteur agricole. Il y va notamment de notre sécurité alimentaire.

«Nous ne produisons pas de riz, pas beaucoup de viande et la qualité des pommes de terre importées de l’Afrique du Sud laisse à désirer. C’est là une occasion rêvée pour revoir notre agriculture et notre élevage afin de cultiver des plantations de maïs, de soja, entre autres», fait remarquer l’économiste Pierre Dinan. Mais la priorité demeure, dit-il, de ré-oxygéner une industrie touristique à bout de souffle. «Vu que nous sommes en concurrence avec les Seychelles, les Maldives, entre autres destinations, ce n’est plus possible d’attirer les touristes rien qu’avec les attraits de la mer. Il faut pouvoir créer un environnement mauricien qui met en valeur la réalité interculturelle de notre île ainsi que notre offre identitaire. Je précise que cela doit se faire dans le cadre d’un partenariat public-privé, avec le gouvernement qui met en place les facilités et le privé qui prend les risques», étaye-t-il.

L’IMPACT POSITIF DES REFORME SITHANEN

IL y a 15 ans, Rama Sithanen initiait ses réformes qui reposaient sur deux piliers : une fiscalité plus souple, avec notamment l’adoption d’un taux de taxation uniforme de 15 % et l’amélioration du climat des affaires. Comment ces réformes ont-elles été bénéfiques au pays ? «Je pense que les réformes initiées par Rama Sithanen ont été immensément importantes dans la transformation économique qu’a connue Maurice au cours des quinze dernières années. Ces réformes ont créé un environnement favorable, qui a donné confiance aux investisseurs locaux et étrangers. Les résultats de cette confiance sont visibles dans les investissements réalisés dans les secteurs du tourisme et de l’immobilier et dans la croissance du secteur des services (y compris les services financiers», observe Tim Taylor. Eric Ng abonde dans le même sens en soulignant que ces réformes ont permis à Maurice d’être résilient face à la crise de 2008. «Elles ont créé de l’espace budgétaire qui a permis de relancer l’économie dans le sillage de cette crise, sans avoir recours à la planche à billets. Après avoir fléchi à 3,3 % en 2009, la croissance économique est repartie à 4,4 % en 2010. Le problème, c’est qu’après, il n’y a pas eu de nouvelles réformes, notamment dans le secteur public, pour consolider l’économie mauricienne. Notre résilience économique s’est amenuisée, voire a été anéantie, avec pour conséquence que la croissance économique est restée en dessous de 4 % depuis, et elle est même tombée à 3 % en 2019. Aujourd’hui, le pays est moins armé pour résister à un choc économique comme la pandémie du coronavirus», constate-il. Les cycles économiques sont marqués par des réformes à des moments précis, renchérit l’économiste Kevin Teeroovengadum. Lorsque Rama Sithanen a initié ses réformes, on a pu voir les résultats. «L’image de marque de Maurice à l’international a été construite sur notre régime fiscal. Nous avions constaté une augmentation des investissements dans le secteur immobilier, le secteur hôtelier et les services financiers, entre autres. Nous avons vu des investisseurs étrangers s’installer à Maurice ou utiliser Maurice comme une plateforme d’investissement», détaille l’économiste. Cependant, au cours des dix dernières années, les réformes se sont succédé sans cohérence. Et de conclure : «Nous avons eu cinq ministres des Finances mais pour de courtes durées. Ils n’ont pas ramené une vraie vision ! Les réformes Sithanen sont limitées aux résultats que nous avons vus il y a 10 ans et à partir de là, Maurice a connu une période de rendements décroissants, avec un ralentissement de la croissance du PIB avant même la crise de Covid-19. Dans le même temps, il y a eu une augmentation de la dette du pays».

Sameer Sharma (Analyste en Investissement Alternatif) «Il n’est plus possible de repousser les réformes structurelles»

Le pays a atteint l’apogée de son cycle d’endettement et les limites de la politique monétaire. Dans ce contexte, la seule option reste les réformes structurelles, observe Sameer Sharma.

Le ministre des Finances a déclaré que le Budget 2021-2022 fera l’équilibre entre la relance et des réformes essentielles pour consolider nos assises économiques. Ne faut-il pas consacrer dans un premier temps toute notre énergie et nos ressources à la relance, sachant qu’initier des réformes comporte aussi un coût ?

Il n’y a pas de compromis possible entre s’engager dans des réformes structurelles, déjà en retard, et le fait que le pays doit être plus productif et compétitif. Nous ne devons pas «let a good crisis go to waste» et nous engager dans des réformes structurelles, qui restent essentielles pour amener l’économie sur une trajectoire de croissance durable et soutenable.

Sur le plan budgétaire et compte tenu de la situation de la dette, le gouvernement devra présenter un plan d’assainissement budgétaire à moyen terme crédible. Celuici devra faire baisser le niveau de la dette au PIB et le rapprocher des niveaux moyens d’endettement par rapport au PIB des économies du groupe de pairs Baa2. Il devra hiérarchiser les dépenses, revoir les coûts des retraites et les autres «unfunded liabilities» de plus en plus coûteux.

Concernant les réserves internationales et, par ricochet, la balance des paiements, elles n’ont pas autant baissé l’année dernière à cause de l’augmentation des emprunts étrangers du gouvernement. Il se tourne vers les réserves internationales en échange de roupies que la Banque centrale lui fournit. Mais compte tenu du poids de la dette, nous devrons également ralentir nos emprunts à l’étranger. Avec moins d’emprunts à l’étranger, l’absence d’une stratégie de sortie claire et d’un plan de réouverture des frontières, la balance des paiements va s’aggraver encore plus et la roupie se dépréciera davantage pour refléter le simple fait que l’économie s’est affaiblie. La Banque de Maurice va bien sûr vendre davantage de réserves de change pour atténuer la dépréciation et prendra des roupies en échange de dollars. Normalement, lorsqu’une banque centrale achète des roupies contre des dollars, elle réduit l’offre de roupies dans le système. Mais dans ce cas, je soupçonne que le gouvernement va rediriger les roupies par le biais de la Mauritius Investment Corporation (MIC) vers certains de ses projets stratégiques prioritaires. Je ne vois pas le gouvernement augmenter les impôts à ce stade, ni être très efficace pour réduire les dépenses, qui sont assez inélastiques. Ce sont toutes des opérations délicates, risquées et surtout des mesures désespérées. Il n’est plus possible de continuer à repousser les réformes structurelles. Il faut certes vacciner la population, ouvrir nos frontières et revenir aux affaires, mais nous ne pouvons plus ignorer les réformes structurelles.

Quelles sont ces «unfunded liabilities» que vous évoquez ?

Il s’agit de la pension de retraite de base, celles versée chaque mois aux fonctionnaires retraités et leur lump sum. L’argent est prélevé directement sur le Budget, qui en fait un passif non financé parce qu’il n’y a pas de régime de retraite qui génère de l’argent pour le payer ; il est principalement payé par les contribuables.

La valeur actuelle de ces engagements non financés dépasse elle-même Rs 400 milliards en utilisant le taux obligataire de 20 ans comme «discount rate». Dans les 10 prochaines années, en tenant compte des paiements qui doivent être effectués au cours de cette période, même si nous ne supposons aucune croissance, aucune augmentation des pensions, ce n’est pas soutenable hormis une croissance économique qui dépasse les 5 % par an. Ajoutez ces Rs 400 milliards à la dette existante, également en hausse d’environ Rs 400 milliards, et vous aurez une idée de la combinaison de la dette et du passif non provisionné en termes de sa valeur actuelle que le gouvernement doit essentiellement servir. L’augmentation de la taxe qu’est la CSG (Contribution sociale généralisée) ne suffira pas à elle seule à couvrir la hausse des coûts des pensions universelles et les actifs du National Pension Fund seront rapidement utilisés.

Compte tenu de la faible marge de manœuvre du ministre des Finances avec des recettes fiscales qui devraient être en dessous de Rs 90 milliards, comment le ministre des Finances doit-il financer son plan de réformes ?

Il faut mieux comprendre la situation actuelle de notre balance fiscale, monétaire et extérieure. Notre ratio dette brute/PIB va être bien supérieur à 84 % du PIB cette année et va augmenter parce que les recettes fiscales sont sensiblement inférieures à ce qu’elles étaient en 2019, tandis que les dépenses continuent de gonfler. Le gouvernement manque de marge de manœuvre budgétaire et Moody’s nous a placés sur la liste de surveillance des perspectives de crédit négatives. Si la note de crédit de Maurice est abaissée à Baa3 l’année prochaine, cela signifiera automatiquement que nous n’aurons plus une seule banque locale qui sera notée «Investment grade». Cela pourrait avoir des conséquences importantes sur le coût de la levée de fonds en dollars par ces banques et sur la stabilité des dépôts de la GBC. Il s’agirait d’un autre point négatif pour notre secteur financier déjà mis à l’index.

De plus, le gouvernement ne pourra pas continuer à dépendre aussi fortement de l’impression de monnaie. Il peut essayer de chercher à obtenir un transfert limité du Special Reserve Fund basé sur les gains non réalisés à partir des réserves internationales qui sont stimulées par la dépréciation de la roupie. Mais il ne pourra s’appuyer fortement dessus car cela signifierait également l’impression de monnaie. Les taux d’intérêt sont également très bas et, à l’échelle mondiale, les pressions inflationnistes liées à la hausse des prix des matières premières augmentent. Somme toute, nous avons atteint les limites de la politique monétaire.

Heureusement, les coûts d’emprunt du gouvernement à long terme sont restés stables et ceux du service de la dette restent faibles. Néanmoins, si les taux d’intérêt augmentent, la Banque de Maurice devra probablement intervenir et acheter des obligations d’État sur les marchés obligataires secondaires pour maintenir les taux à un niveau acceptable. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est un outil potentiel qui n’a pas été utilisé jusqu’à présent. Il est essentiel de comprendre que notre cycle d’endettement a atteint son apogée et que si le gouvernement ne peut pas augmenter les impôts de la manière traditionnelle, un peu d’inflation provoquée par une dépréciation de la roupie se produira. Il n’y a pas de repas gratuit.

Quelles devraient être les priorités en matière de réformes ?

À Maurice, on nous sert souvent des discours visionnaires mais quand il s’agit de la mise en œuvre, le constat est tout autre. La mise en œuvre des mesures budgétaires et des projets est mal gérée parce qu’à Maurice, la structure du pouvoir est très centralisée, et ce modèle central ne fonctionne pas. La première réforme devrait donc consister à placer les bonnes personnes aux bons endroits et à décentraliser l’élaboration et la mise en œuvre des politiques par le biais d’institutions et d’entités publiques plus indépendantes, autonomes mais aussi responsables.

Il faut également mieux hiérarchiser les dépenses sociales en ciblant davantage ceux qui en ont le plus besoin, prendre la décision politiquement difficile de cibler davantage les pauvres, réformer notre système de retraite en le ciblant mieux et en indexant l’âge de la retraite sur l’espérance de vie. Lorsque nous vivons au-dessus de nos moyens, une inflation plus élevée rongera ces augmentations de dépenses. Le public ne comprend pas tout cela malheureusement.

Le gouvernement n’a aucune raison d’être dans les affaires et de posséder autant d’entreprises publiques qui apportent peu d’efficacité au pays. Il est grand temps d’envisager un plan progressif de vente d’actifs sur le marché des actions et d’augmenter les recettes publiques dont nous avons tant besoin. Nous devrions encourager les investissements étrangers dans les actifs stratégiques de manière progressive et réduire graduellement l’empreinte de l’État dans les entreprises. Le gouvernement doit créer un écosystème de financement alternatif viable pour les startup et les entreprises de taille moyenne et encourager les investisseurs institutionnels publics et privés à investir dans les classes d’actifs du crédit privé, du capitalinvestissement privé et du capital-risque.

En outre, nous devons passer au numérique, promouvoir l’open banking à Maurice pour permettre aux fintech d’être compétitives, investir beaucoup plus d’argent dans l’éducation et la formation du capital humain, dans la recherche et le développement dans des créneaux de niche via nos universités locales et envisager des projets d’infrastructure dans un modèle de partenariat public-privé.

Yannis Fayd’herbe (Président de l’Association Of Mauritian Manufacturers) «Maurice ne peut échapper à la réforme de ses fondamentaux économiques»

Le pays est impacté aujourd’hui par les mutations de l’économie globale, le changement climatique, les tensions géopolitiques qui voient l’émergence de nouvelles puissances ou d’économies régionales plus fortes. D’où la nécessité d’engager des réformes économiques, souligne le Président de l’Association Of Mauritian Manufacturers.

Le ministre des Finances a déclaré que le Budget 2021-2022 serait placé sous le signe de la réforme. Est-ce le moment propice pour une refonte de nos fondamentaux économiques ?

Il faut comprendre que le budget de l’État mauricien, en termes de recettes publiques, est plus faible qu’à la normale. Il y a eu moins de recettes publiques et notre activité économique est au ralenti. Cette situation devrait se prolonger jusqu’à la réouverture totale du pays et la reprise d’envergure du tourisme et de la restauration. Entre-temps, l’État a moins de latitude en termes d’aide des différents secteurs. Aujourd’hui, l’industrie locale n’est pas le plus en difficulté. Cependant, il faut surtout s’intéresser au contexte plus large pour comprendre pourquoi les réformes sont tout de même vitales pour notre secteur manufacturier. Notre île est impactée aujourd’hui par les mutations de l’économie globale, le changement climatique, les tensions géopolitiques qui voient l’émergence de nouvelles puissances ou d’économies régionales plus fortes. Cela signifie que Maurice ne peut échapper à la réforme de ses fondamentaux économiques.

Concernant l’industrie locale, un certain nombre d’indicateurs sont au rouge pour des raisons internes et externes. Par exemple, l’augmentation des coûts des matières premières, de transport de fret, de logistique et de stockage. Tout cela est lié à un contexte international qui provoque des interruptions, des ruptures momentanées dans les chaînes d’approvisionnement. Cela déstabilise, par conséquent, les prix, le volume et les calendriers de livraison. Ni Maurice ni la zone océan Indien ne seront épargnés.

Nous sommes à un point où notre économie peut difficilement absorber tous ces chocs. En particulier, quand il s’agit d’une petite économie insulaire comme la nôtre ; une économie peu intégrée régionalement et vulnérable à ces grands chocs systémiques. Nous n’avons pas encore trouvé de substituts régionaux et locaux en termes de matières premières ou de produits finis ou services. Du coup, cette forte dépendance hors zone océan Indien est une faiblesse. C’est difficile de vouloir y remédier en permanence par l’apport de fonds publics ou de subventions, particulièrement lorsque les ressources sont réduites, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est là où la réforme doit être accélérée.

Compte tenu de la seconde vague, quelles doivent les priorités en termes de réformes ?

En ce qui concerne l’approvisionnement en produits essentiels – alimentaires ou pas – il y a une nécessité pour les secteurs productifs locaux d’être mieux organisés, interconnectés, plus résilients et en capacité de se projeter sur l’export. Tout cela demande des réformes. Ces réformes ne doivent pas se faire en silo. Il faut des réformes communes, des secteurs public et privé à la fois. Nous sommes à la veille de l’exercice budgétaire.

Nous plaidons pour une approche globale dans la transformation du secteur manufacturier et de notre appareil productif. Cette transformation ne peut pas se faire en silo, déconnectée des autres secteurs. Elle doit intégrer la notion d’interdépendance économique entre les différents secteurs.

En l’occurrence, c’est ce que nous avons identifié avec le National Agri-Food Development Programme. C’est un programme intersectoriel ambitieux auquel nous participons depuis 2020. C’est le véhicule idéal pour développer à Maurice une approche filière interprofessionnelle, correspondant à nos réalités locales. Il faut y inclure des mesures pour réformer les secteurs productifs, relancer des filières agroalimentaires dans un premier temps et créer un vrai maillage sur le territoire. Ce maillage permettrait de développer de vraies solutions pour assurer notre sécurité alimentaire. C’est un moyen de pallier l’augmentation des coûts des matières premières, parce que l’on aura développé localement et régionalement toute ou partie des substituts des matières premières que l’on importe du reste du monde et très peu de la zone océan Indien elle-même.

Quelles sont les principales propositions que l’Association of Mauritian Manufacturers a formulées dans le cadre des consultations pré-budgétaires ?

Dans notre Budget Memorandum, nous recommandons la contractualisation entre les secteurs productifs et les secteurs de grande distribution. Une contractualisation fondée sur une compréhension mutuelle de nos intérêts. D’un côté, les acteurs de la grande distribution sauront qu’ils disposent à Maurice de gammes de produits proches, sinon meilleurs qu’une partie des produits importés. Ces produits auraient des prix stables et seraient intégrés dans ces futures filières interprofessionnelles agroalimentaires. De l’autre, les industriels auraient donné, par cet engagement, aux secteurs primaires – agriculture, élevage, pêche – des moyens de fonctionner avec des volumes constants, des qualités contrôlées, et des prix stables. Producteurs et distributeurs évolueraient donc dans des engagements mutuellement bénéfiques. Il y a aussi un autre aspect, celui des marchés publics, à travers des initiatives comme le Buy Mauritian Program qui devrait diriger la production locale vers la satisfaction des besoins dans les marchés publics, dans la fonction publique.

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