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Rama Sithanen (Ancien Ministre des Finances) «Il faut réimaginer l’économie en investissant dans les secteurs d’avenir»

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S’il reconnait que le budget 2021-2022 comporte des mesures valables comme la réouverture des frontières et la valorisation de la bagasse, Rama Sithanen souligne toutefois que le Grand Argentier avait une occasion exceptionnelle de remédier à la situation économique. Décortiquant le budget, il estime que le Ministre des Finances a délibérément caché la vérité sur certains indicateurs macroéconomiques, tout en soutenant qu’il fallait introduire des réformes pour s’attaquer à des faiblesses structurelles qui sont antérieures à la pandémie. Selon Rama Sithanen, il faut être réaliste ; il sera difficile de retrouver le niveau de décembre 2019 car le monde post-covid sera différent du “Old Normal”.

 

Vous avez qualifié le Budget 2021-2022 d’écran de fumée, estimant que le ministre des Finances a grandement surestimé les recettes fiscales. Peut-on parler de bulle spéculative ?

Je ne suis pas le seul à le dire. Le ministre des Finances avait le choix d’être direct et franc envers la population et de dire que la situation est difficile. Tout le monde le sait, on le voit à la télévision, dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas uniquement de sa faute ; il n’était pas là ! Et il aurait pu dire : «Voilà, j’ai hérité d’une situation difficile : dès que je suis arrivé, il y a eu la Covid-19 et il y a certaines décisions que nous devons prendre pour assurer l’avenir de notre pays». Il a choisi une stratégie qui le force à délibérément cacher la vérité sur plusieurs indicateurs macroéconomiques importants. Il y a certes quelques bonnes mesures, comme l’ouverture du pays et la valorisation de la bagasse, mais les gens s’interrogent sur ce qu’il a caché et ce qu’il a déguisé. En général, quand vous commencez un Budget, vous passez en revue la situation économique internationale et ensuite ce que vous avez accompli durant l’année écoulée. Il n’y a pas eu de revue et il faut lire Statistics Mauritius pour savoir qu’il y a eu 33 400 emplois détruits l’année dernière et près de 100 000 chômeurs. Il n’a rien dit sur le chômage, l’inflation, l’investissement et l’épargne. Et comment peut-on faire un Budget sans parler de la balance extérieure ? C’est un moteur de la croissance de Maurice. Il n’a rien dit sur les trois déficits de la balance extérieure que sont : le déficit de la balance commerciale, le compte courant et la balance des paiements. La part de Trade in good and services dans le PIB a décliné pendant les cinq dernières années et il n’y a rien dans ce Budget pour inverser la tendance. Les indicateurs macroéconomiques sont tellement mauvais qu’il a préféré les oublier, mais ils sont bel et bien là.

Le ministre des Finances prône une stratégie de relance par la consommation et table sur une croissance de 9 % en 2021-2022 avec un PIB au seuil des Rs 500 milliards. Est-ce réaliste ?

Lui-même avait fait des prévisions pour les trois prochaines années dans son Three Year Macro Economic Framework l’année dernière. Il avait mis noir sur blanc que le taux de croissance pour 2021-2022 sera de 4,5 %. Or, il vient nous dire maintenant que ce sera 9 %. Pourtant, la situation au niveau international n’a pas beaucoup changé. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit un taux de croissance autour de 5,9 % en 2020- 2021. La MCB a prévu 4,8 % en 2021. Combien de croissance faudra-t-il au second semestre pour arriver à une moyenne de 9 % sur l’ensemble de 2021- 2022 ? Je pense que la raison pour laquelle il a mis une croissance à 9 %, c’est pour justifier les recettes fiscales très élevées par derrière. S’il était resté avec les 4,5 %, cela aurait été difficile d’augmenter les recettes fiscales par 33 %, incluant une hausse de 41 % de la TVA et de 44 % de la Corporate tax. Concernant la Corporate tax, elle est payée sur les profits de l’année précédente et plusieurs sociétés soit ont perdu beaucoup d’argent, soit ont réalisé peu de profits. Quant aux prévisions sur la TVA, il faut prendre en compte que les gens sont plus pauvres avec une réduction du revenu : ils ont soit perdu leurs emplois soit ont un salaire réduit et sans leurs Fringe benefits. Donc, de manière générale, la consommation sera encore affectée. Il y aura certes un rebond technique mais pas les 9 % que le ministre des Finances prévoit. Le ministre met tout sur le dos de la Covid-19, mais avant la pandémie, la situation était déjà difficile dans beaucoup de secteurs et il y avait aussi plusieurs problèmes structurels, comme la dette et le déficit qui étaient élevés. Comme l’a aussi dit la Banque mondiale, non seulement il y a eu un déclin, mais aussi un véritable effondrement de l’exportation de biens et services. Le ministre a surestimé la croissance et il a utilisé cela pour gonfler les recettes fiscales. Lorsque vous augmentez les recettes fiscales, le déficit budgétaire baisse mécaniquement. C’est un leurre.

Donc, selon vous, l’objectif principal était de garder un déficit budgétaire bas ?

C’est pour la galerie. Beaucoup de projets annoncés dans le Budget ne seront pas financés par le Consolidated Fund, mais par les fonds spéciaux. Il n’y a pas un seul sou qui est budgété dans le Capital Budget pour tous ces projets de drains à travers l’île ! Ils seront financés par les Rs 26 milliards des fonds spéciaux. Lorsque le PIB est estimé à Rs 500 milliards, le calcul est vite fait sur ce que sera le déficit en termes de pourcentage du PIB. Il montre qu’il n’a pas dépensé cette année car il a transféré Rs 31,7 milliards au lieu de Rs 15 milliards dans les Special funds. Le ministre a aussi pris Rs 9 milliards des réserves de la Financial Services Commission, de la State Trading Corporation, du Central Electricity Board et de la Mauritius Ports Authority, équivalant à 1,8 % du PIB. Et maintenant, le déficit va augmenter avec le paiement de Rs 6 milliards à Betamax. Tous les ministres des Finances utilisent les fonds spéciaux, mais avec Renganaden Padayachy, la proportion et l’ampleur sont beaucoup plus grandes. Les fonds spéciaux sont devenus beaucoup plus conséquents : il y a plus d’argent et plus de fonds. Les autres ministres avaient un ou deux fonds, avec lui il y en a huit. Il y a plus d’argent dans les fonds spéciaux hors budget qu’il y en a dans le Capital Budget du gouvernement : Rs 35,4 milliards contre seulement Rs 15 milliards dans le budget de développement du gouvernement. En général, dans les fonds spéciaux, on retrouve des dépenses de développement comme les drains et les infrastructures routières. Mais, aujourd’hui, dans le Resilience Fund, on voit des dépenses comme le Wage Assistance Scheme. L’année dernière, c’était dans le Consolidated Fund. Clairement, le Wage Assistance Subsidy de Rs 2,5 milliards n’est pas une dépense de développement, mais une dépense courante. Même chose pour le financement de la MTPA avec Rs 360 millions. Beaucoup de ce que le ministre des Finances annonce est donc financé hors Budget. C’est en fait un subterfuge pour que le déficit budgétaire n’augmente pas. C’est pour cela que l’une des propositions de la Banque mondiale, dans son dernier rapport, est d’intégrer les fonds spéciaux dans le Budget pour plus de transparence et de bonne gouvernance. Sauf qu’il y a un problème parce que le Budget est un exercice annuel et qu’il y a beaucoup de dépenses qui sont étalées sur plusieurs années. Et s’il ne dépense pas ce qu’il met dans le budget de développement, il perd la flexibilité à la fin de l’année financière. C’est le déficit budgétaire qui baisse si l’argent n’est pas dépensé.

«Il y aura certes un rebond technique mais pas les 9 % que le Ministre des Finances prévoit»

Vous estimez que le chômage est sous-estimé. Pourquoi ?

Ma grande inquiétude est le chômage qui grimpe dangereusement. En décembre 2020, Statistics Mauritius comptabilisait 52 200 chômeurs et 42 000 potential labour force, qui est décrit comme «persons not in employment but not actively looking for a job». Pourtant, ces gens-là ne sont pas inclus comme chômeurs. Donc, le véritable nombre de chômeurs est de 94 200. Il faut savoir que les années précédentes, ce chiffre de potential labour force était très bas à 2 400, mais est passé à 42 000 en 2020. Ces chiffres remontent à décembre 2020 et six mois se sont écoulés jusqu’en juin. Entre-temps, beaucoup d’entreprises ont fermé, parmi des indépendants. Il faut également prendre en compte le secteur informel. Ce qui m’amène à dire qu’on a dépassé le chiffre de 100 000 chômeurs. Concernant l’inflation, le Budget dit qu’elle va augmenter à 5 % en 2021-2022. Le grand problème est qu’avant même la présentation du Budget, il y avait déjà eu des augmentations de prix en cascade, surtout sur plusieurs produits de première nécessité. Cela pour trois raisons : la dépréciation accélérée de la roupie, l’augmentation du fret et du prix des commodités et des produits pétroliers. Pendant la pandémie, il y a eu un changement dans la consommation de la classe moyenne et de la classe pauvre. Parce que ces gens sont devenus plus pauvres, la part de leurs revenus consacrée aux produits de première nécessité a considérablement augmenté. D’ailleurs, les patrons des grands supermarchés le confirment. Or, dans le panier du CPI (Consumer Price Index), le poids de ces produits s’élève à seulement 23 %. Dans la réalité pour ces deux groupes, le pourcentage est beaucoup plus élevé et donc pour eux, l’inflation est plus élevée.

Finalement, il y a le très contesté et contestable CSG (Contribution sociale généralisée). Le ministre des Finances a comptabilisé Rs 7,8 milliards de contributions comme une recette. Or, ce n’en est pas une ; il s’agit juste d’un deferred payment car à partir de juillet 2023, on devra payer les Rs 4 500 promises à ceux qui ont 65 ans et plus. Mais il ne pourra pas le faire parce qu’il n’y aura pas d’argent. Il utilise cet argent pour financer son déficit. Arrivé en 2023, ce sera un désastre financier car le Trésor public ne pourra pas financer les dépenses dues à l’augmentation des pensions. Il aurait dû mettre cet argent dans un fonds comme le Fonds national de pension et puiser dedans pour payer en 2023. Là, il a fait du «pay as you go». Aujourd’hui, c’est une recette et à partir de 2023, ce seront des dépenses très élevées. Lorsqu’on ajoute tout cela, le déficit budgétaire est beaucoup plus élevé.

«Lorsque vous augmentez les recettes fiscales, le déficit budgétaire baisse mécaniquement»

La décision de la Banque de Maurice de traiter le transfert de Rs 28 milliards dans ses livres non comme un emprunt contracté par le gouvernement fait polémique. Le ministre des Finances a affirmé mercredi dernier à l’Assemblée nationale que c’est une contribution faite dans une période exceptionnelle. Quelle est votre interprétation ?

Le ministre des Finances a pris les réserves de la Banque centrale à hauteur de Rs 60 milliards. Le FMI lui a fait savoir que cela ne pourra pas se faire. Et il a écouté partiellement le FMI parce que si ses projections ne se matérialisent pas et si la situation se détériore, il faudra se tourner vers cette institution pour demander de l’aide. Il n’aura d’autre choix que d’aller discuter avec le FMI pour négocier un programme d’ajustement structurel. Pour le transfert de Rs 28 milliards, le ministre noie le poisson. Il est en train de justifier pourquoi la Banque centrale a transféré de l’argent alors que le problème est le traitement qu’il fait de ce montant. Ce n’est pas une source de revenu mais bien un financement du déficit budgétaire, comme il l’avait fait l’année dernière. C’est là tout le problème : il est en denial mode et ce faisant, il perd sa crédibilité. Il utilise les contributions de la Banque centrale parce qu’on est dans une situation exceptionnelle, mais le traitement est différent. Les Rs 28 Mds sont tout simplement une dette. Après les critiques du FMI, la Banque centrale a émis un communiqué qui classifie les Rs 28 milliards comme l’équivalent d’une dette car les dividendes dus au gouvernement seront utilisés pour rembourser les Rs 28 milliards. Il joue sur les mots, mais cela reste une dette que le gouvernement devra rembourser en sacrifiant ses dividendes futurs. Au minimum, Rs 28 milliards de ces Rs 60 milliards doivent être traitées comme un financement et une dette.

Quel est le taux réel de la dette publique si l’on prend en compte les fonds spéciaux et les SPV ? C’est clairement plus que 100 % du PIB. Est-ce que c’est 104 %, 110 % ou 120 % ?

Certains économistes disent que même les Rs 80 milliards de la Mauritius Investment Corporation (MIC) doivent être comptabilisées comme dette publique. Doit-on prendre en compte les SPV pour financer le métro léger et l’equity pour le stade de Côte d’Or ? Car la question est de savoir qui va rembourser ces montants. Il y a beaucoup de subterfuges utilisés pour ne pas comptabiliser une dette comme telle et pousser beaucoup de dépenses hors du Budget dans les fonds spéciaux. Un prêt est caractérisé comme un equity pour ne pas être comptabilisé dans la dette, comme c’est le cas pour le stade de Côte d’Or. Mais ce stade ne va pas générer suffisamment de recettes pour couvrir les coûts opérationnels, rembourser le capital et les intérêts. C’est l’État qui le fera. Maintenant, il y a Betamax et les Rs 6 milliards que l’État doit payer avant la fin de cette année financière. Il a déjà présenté son Budget et il fera un Estimate of supplementary expenditure pour approuver les dépenses additionnelles. Cependant, cela va augmenter le déficit budgétaire et la dette publique par ce montant.

«Un Ministre Des Finances a toujours le choix en termes de priorités»

Parlons de la philosophie du Budget. Le ministre des Finances estime que c’est en priorisant le développement humain qu’on va amener la croissance. Quelle doit être la philosophie économique en cette période de crise ?

Le Grand argentier avait une occasion exceptionnelle de remédier à la situation économique qui est difficile. Il fallait prendre des mesures courageuses, introduire les réformes structurelles pour résoudre nos faiblesses et renverser le déclin. Mais il a préféré cacher la vérité pour faire croire que tout va bien. Il aurait dû équilibrer la croissance économique au lieu de dépendre beaucoup sur les dépenses dans les infrastructures publiques, et mettre l’accent sur l’investissement privé et l’exportation de biens et de services. Or, il a essentiellement misé sur l’infrastructure publique, même pas la construction. Il n’y a pas grand-chose sur l’investissement privé, et pourtant le secteur privé représente 80 % du PIB et de l’emploi. Il fallait encourager l’investissement privé dans le secteur productif de l’économie, renverser la tendance baissière des exportations de biens et de services, encourager les PME à exporter les biens et services sur l’Afrique. Les gens disent qu’il n’avait pas le choix, mais un ministre des Finances a toujours le choix en termes de priorités. Il a joué la carte d’une approche conventionnelle avec des investissements classiques dans les infrastructures publiques. Le secteur privé a dû faire pression pour un retour très vite à une situation d’avant la Covid-19. C’est là qu’un leadership éclairé a toute son importance. Il s’agit d’anticiper et de faire les choix stratégiques pour l’avenir du pays. Il a choisi de mettre tout sur des drains et 650 000 touristes. Or, la relance aurait dû être plus équilibrée. Il a utilisé cette stratégie l’année dernière et on connaît les résultats. Son autre erreur : il fallait faire un bon dosage entre un stimulus package classique à court terme pour relancer l’économie et les grandes réformes structurelles pour transformer le pays dans un «new normal», un meilleur équilibre pour regarder les secteurs d’avenir comme l’économie bleue, l’économie verte et l’économie digitale et la technologie. Car ce sont des secteurs qui pourraient amener le secteur manufacturier à 20 % du PIB. Il fallait aider les jeunes entrepreneurs et les start-up pour conquérir le marché mondial. Il ne suffit pas de relancer l’économie ; il faut aussi la réimaginer. Et la manière de réimaginer l’économie, c’est d’investir dans les secteurs d’avenir. Le ministre des Finances aurait pu équilibrer avec plus d’accent dans les nouveaux piliers. Il fait erreur en voulant coûte que coûte protéger les emplois. Ce sont les personnes qu’il faut protéger. Il y a une grande différence entre les deux. Comment protéger les jobs dans un secteur où il n’y a pas de demande ?

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