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Pierre Dinan (Économiste) “Le pays a besoin d’une stratégie économique”

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Il faut regarder la réalité en face : Les restrictions actuelles sont un mal nécessaire compte tenu de la situation sanitaire, estime Pierre Dinan. Pour l’économiste, le succès de la campagne de vaccination sera crucial si tout se passe bien, le secteur touristique, qui est le principal pourvoyeur de devises étrangères, sera en mesure de redémarrer et l’on pourrait envisager une vraie relance de l’économie au second semestre. Il ne faut, par ailleurs, pas oublier que Maurice reste une économie très ouverte et que, de ce fait, notre avenir est tributaire de la situation sur nos principaux marches, rappelle Pierre Dinan.

 

Maurice vit des jours stressants avec la résurgence de Covid-19 qui a poussé le gouvernement à décréter à nouveau le confinement. Saurat-on se relever de ce nouveau choc ?

Il s’agit moins de savoir, que de devoir. C’est une obligation que de se relever de cette situation. Cette question n’a rien à voir avec l’économie, et touche aux valeurs du patriotisme. En tant que peuple et citoyen, chacun de nous, chaque Mauricien qui possède l’âge de raison doit apporter sa contribution en fonction de ses moyens et de sa capacité ; des gouvernants aux opérateurs économiques, en passant par les acteurs sociaux et les «ti dimounes». Il nous revient à tous où que nous soyons dans l’échelle sociale de travailler vers cet objectif. N’est-il pas dit dans un livre sacré, si je ne me trompe pas, un dicton à l’effet que «celui qui ne travaille pas, ne mangera pas» ? Tout cela pour dire qu’il revient à chacun de nous de prendre conscience, qu’en tant que citoyens, que nous avons bien sûr des droits, mais aussi des responsabilités. C’est plus que jamais le moment d’en faire montre dans l’optique de trouver des moyens de nous en sortir et de continuer à habiter dans cette île. C’est d’autant plus important puisque nous évoluons dans un climat d’interdépendance économique. Même si collectivement nous mettons tout en œuvre ici pour nous relever, nous sommes tributaires de ce qui se passe à l’échelle internationale.

«Nous sommes tributaires de ce qui se passe à l’échelle internationale» – Pierre Dinan.

Dans ses dernières prévisions, Moody’s table sur une croissance de 6,5 % en 2021 et de 5 % en 2022. Avec le reconfinement qui risque de se prolonger au-delà du 25 mars, pourra-t-on réaliser ces performances ?

Il faut le demander à Moody’s. Ses estimations se sont fondées sur des faits et des facteurs qui étaient à l’œuvre avant que l’on en revienne au deuxième confinement. De toute évidence, ce reconfinement ne va faire que dégrader davantage la situation économique, et il faudra probablement revoir les estimations de croissance. Soit dit en passant, ce second confinement, limité à 15 jours seulement, est moins long que celui de 2020. D’un point de vue statistique, un nouveau confinement ne peut que détériorer le climat économique et social.

Pendant les deux prochaines semaines, les entreprises devraient tourner au ralenti en dépit du plan de continuité de leurs opérations. Cela dit, combien de points de croissance devrait nous coûter cette période de faible activité ?

Je ne peux me prononcer sur ce sujet. Je ne suis pas statisticien. Je pourrais faire des estimations, mais je ne dispose pas des éléments pour réaliser cet exercice. Ce que je peux vous répondre en tout cas, c’est que tout confinement additionnel détériore davantage la situation économique. La filière HORECA (hôtellerie et restauration) qui, malgré ce contexte socio-économique, avait plus ou moins trouvé un moyen alternatif pour une rentrée d’argent – en accueillant des Mauriciens, en faisant des soirées festives, en organisant des concerts çà et là – est de nouveau à l’arrêt. Ces 15 jours amènent un autre coup de frein, et il faudra que l’industrie touristique et les filières connexes se réadaptent et se réorientent.

D’aucuns disent que la décision du gouvernement d’imposer le reconfinement est extrême dans un contexte où l’économie mauricienne reste foncièrement malade. Vos commentaires ?

Je pense que oui. Parce qu’il faut crever l’abcès au plus vite. Je dirais même qu’il y a eu un certain relâchement de la part des Mauriciens. Par exemple, je constate qu’on porte le masque sur le menton. Et il y a eu de la part des organisateurs de la campagne de vaccination une grosse imprudence avec les grosses foules accumulées aux abords des centres de vaccination. Il n’y a pas eu de respect des gestes barrières tout comme la distanciation sociale. Cela a été une grosse erreur. Donc, je ne critiquerai pas le fait qu’on soit passé en reconfinement. Ce que je critiquerai plutôt, c’est qu’on ne s’est pas hâté à aller faire le vaccin. On a perdu un peu de temps et, entretemps, le mal s’est à nouveau manifesté.

«On a perdu un peu de temps et, entre-temps, le mal s’est à nouveau manifesté» – Pierre Dinan.

Le reconfinement coïncide avec le début de la campagne de vaccination. Au lieu de s’emmurer à nouveau, ne fallait-il pas plutôt qu’on concentre toutes nos énergies sur l’accélération de la vaccination ?
Je ne suis pas un spécialiste du sanitaire. En tant que profane, dans la situation actuelle, cela ne me dérange pas, au contraire. J’espère que cela débouchera sur une campagne de vaccination mieux organisée. Je suis très critique de la manière dont la communication a été faite autour de son lancement : les gens ne savaient pas où ils devaient aller pour se faire vacciner. Ce n’était pas clair du tout ! Aussi longtemps qu’on relance la campagne de vaccination sous de meilleurs auspices, c’est la bienvenue !

Ce reconfinement va inévitablement grever les finances de l’État et affaiblir un peu plus les entreprises. Pensez-vous que le gouvernement va mettre en place un nouveau plan de soutien en faveur des entreprises et des particuliers ?

La Mauritius Investment Corporation (MIC) existe, n’est-ce pas ? Elle n’a qu’à poursuivre sa mission. Ce dont il faut nous rendre compte, c’est que la MIC est là pour durer encore quelques années afin de venir en aide à ces entreprises en difficulté. Il faut aussi cibler le souci particulier que représente cette situation pour les PME et tous ceux issus de l’économie informelle ou qui sont des ouvriers indépendants, des filières qu’on connaît mal, et qu’on est arrivé à mieux cerner depuis l’année dernière avec le paiement du Self-Employed Assistance Scheme. Somme toute, l’aide du gouvernement doit être dirigée vers toutes les entreprises et tous les travailleurs indépendants.

Le gouvernement peut-il se permettre d’activer une nouvelle fois le levier monétaire sous peine de mettre en péril la stabilité du secteur financier bancaire et non bancaire ?

Nous sommes un petit pays à l’échelle internationale. Si l’on se retrouve seul, on n’a pas les moyens de se remettre sur pied. C’est pour cela que nous avons besoin de l’aide internationale, mais je crois qu’il faut aussi beaucoup compter sur l’aide des multinationales. Et là, je me réfère à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international, à la Banque africaine de développement ou encore à la Banque européenne d’investissement. Ces institutions existent, Dieu merci. Nous sommes membres des Nations unies. Ainsi, nous faisons partie de la grande famille internationale des pays. Donc, nous devons compter sur ces aides. D’un point de vue économique, c’est la période par excellence pour s’entraider. Nous ne sommes pas les seuls à avoir besoin d’aide. D’ailleurs, le gouvernement a commencé à recevoir un peu d’aide, et nous devons nous appuyer sur cette base. À condition que nous utilisions les aides que nous recevons sciemment, qu’il n’y ait pas de gaspillage. La priorité des priorités, c’est qu’on remettre l’économie en marche. Comme je l’ai dit, il faut que tout un chacun apporte sa pierre à l’édifice

«L’aide du gouvernement doit être dirigée vers toutes les entreprises et tous les travailleurs indépendants» – Pierre Dinan.

À fin janvier, nos réserves de change s’élevaient à 13,4 mois d’importations. Ce qui de prime abord est un niveau relativement confortable, surtout quand on sait que la recommandation du FMI porte sur une couverture d’au moins 9 mois. Cela dit, peut-on se permettre d’utiliser ce coffre de guerre ? On peut se permettre, mais en faisant très attention. Heureusement qu’on dispose de ce niveau de réserves. Vous savez pourquoi on en dispose autant ? La raison est qu’on a bénéficié des aides de différents pays comme le Japon, mais aussi d’institutions multilatérales comme la Banque mondiale et le FMI. N’oubliez pas que le gouvernement a ponctionné de ces réserves pour créer la MIC afin de soutenir les entreprises fragilisées par la crise économique. Le gouvernement a également pris de l’argent pour lui-même dans l’optique d’alimenter le Consolidated Fund pour faire face à ses dépenses. La Banque centrale disposait de réserves à l’étranger qu’elle a ramené à Maurice. Voilà la provenance des fonds à la disposition du gouvernement. Nous devons être pleinement conscients qu’aucun sou de ce montant ne doit être gaspillé ; il faut utiliser cet argent à bon escient pour aider les entreprises en difficulté, et tous ceux qu’il faut soutenir.

En ce moment, on essaie d’éteindre le feu. Mais il faut plus que cela. Il est essentiel qu’on définisse notre nouvelle stratégie économique, notamment pour l’industrie touristique. Il est vrai qu’il faut remettre les secteurs économiques actuels en état, mais il faut aller au-delà. Le contexte sanitaire et économique actuel doit également être l’occasion pour nous de nous réorienter. J’insiste là-dessus : il faut mettre en place toute une stratégie d’étude afin de développer nos ressources marines. Voilà aussi à quoi nous devons nous mettre à l’œuvre : repenser notre orientation économique. Pour revenir à notre niveau de réserves, bien qu’il soit au-delà de ce qui est recommandé par le FMI, il ne faut pas que cela nous pousse à dépenser sans penser au lendemain. Nous disposons d’une bonne couverture de devises étrangères, mais n’allons pas les épuiser aveuglément.

Ces derniers mois, les distractions politiques ont pris le pas sur les impératifs économiques et sanitaires (on pense à la nécessité de mettre en place une stratégie vaccinale efficace). Est-il encore temps de se ressaisir ?

Il faut bien se ressaisir, bien que je ne dise pas que la situation sanitaire et économique actuelle laisse libre champ à la situation politique. Il ne faut pas oublier que c’est un tout. La situation politique doit être assainie. Il faut que tous les acteurs politiques et économiques, le monde des affaires et la société civile travaillent dans une même direction afin de relever les défis. Nous devons respecter toutes les normes de notre société, et surtout ne pas tomber dans des actes de corruption. La situation actuelle exige de chacun des citoyens de ce pays le respect des lois et des conventions. Cela s’applique aussi bien aux acteurs politiques, aux opérateurs économiques, qu’à chaque Mauricien. Ce n’est pas le moment de profiter de la situation pour se remplir les poches au détriment de la communauté tout entière.

«Ce n’est pas le moment de profiter de la situation pour se remplir les poches» – Pierre Dinan.

Si on réussit à maîtriser la pandémie et si on parvient à faire vacciner au plus vite la population, pourra-t-on espérer une vraie reprise au second semestre ?

Vous me demandez d’être prophète. On doit sans doute viser cette reprise au second semestre. Mais elle va dépendre non seulement d’un assainissement de la situation de notre pays, mais aussi d’un assainissement de la situation à l’échelle mondiale, et plus particulièrement au niveau de nos principaux marchés émetteurs de touristes. Je parle spécifiquement du tourisme pour rappeler que c’est la principale industrie du pays et qu’elle concentre une forte contribution en devises étrangères. Donc, nous aurons bon être propres comme un sou blanc, si la France, l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne ne se remettent pas en même temps que nous de la conjoncture économique et sanitaire actuelle, cette reprise se fera attendre. Notre santé économique dépend bien sûr de notre situation intérieure, mais elle est aussi tributaire de la situation extérieure, surtout que nous sommes une économie très ouverte.

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