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Dean Ah-Chuen : «Si les voitures se vendent bien, l’économie va bien»

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Dean Ah Chuen

La performance du secteur automobile se reflète sur la santé de l’économie, observe le Managing Director d’ABC Automobile dans l’entretien qui suit, Dean Ah-Chuen évoque non seulement la situation dans l’industrie  automobile et les strategies qu’il a mises en place pour relancer la vente, mais commente aussi les grands enjeux économiques liés au redémarrage du tourisme, à la sortie de la liste noire de l’Union Européenne et à la politique du taux de change, notamment.

Le secteur automobile n’a pas été épargné par la crise que traverse le pays depuis un peu plus d’un an. Comment s’y prend ABC Automobile pour maintenir le cap ?

Au niveau d’ABC Automobile, il nous a fallu revoir notre business model. Cet exercice s’est traduit par une restructuration de notre organisation pour faire face aux nouveaux défis, mais aussi pour explorer les opportunités. Nous avons également procédé à un réaménagement minutieux de notre capital humain dans l’objectif de sauver les emplois. Je peux dire que nous avons pu rester fidèles à notre devise qui a toujours été Anou manz ar li. Je pense que notre stratégie d’intégration horizontale et verticale, tout en restant accrochés au monde automobile, nous a grandement aidés à maintenir un certain niveau de résilience et de stabilité durant la crise. Notre pôle de véhicules utilitaires (pick-up, vans et camionnettes), de transport en commun et de poids lourds est très complémentaire à notre pôle de véhicules particuliers. À ce jour, nous représentons sept marques de voitures (Nissan, Porsche, Alfa Romeo, Jeep, Fiat, Datsun, Infiniti) et cinq marques de véhicules commerciaux (UD Trucks, Eicher, Yutong, Howo et JMC) ainsi que trois grandes marques de pneus (Dunlop, Hankook et Vredestein). Le service après-vente d’ABC Motors et notre enseigne de réparation express (Quikfix) demeurent des activités clés en proposant un ensemble de services associés dans le domaine automobile tels que les pneus, les batteries (Tyre Expert) et le dépannage (AAA). La gestion de flotte (Fleetleader), l’assurance (Good Harvest Ltd) et le crédit-bail (Expert Leasing) et nos services de carrosserie (ABC Coach Works, ABC Body and Paint) viennent compléter notre offre globale.

Le ministre des Finances a, lors de la présentation du Budget, annoncé que la suppression de 5 % du droit d’accise sur les camionnettes électriques de 180 kW ainsi que la possibilité pour les propriétaires de véhicules électriques d’installer des panneaux photovoltaïques de 10 kW. Ces mesures suffiront-elles à rendre les véhicules électriques plus attrayants auprès des Mauriciens ?

En 2012, alors que nous étions le premier concessionnaire sur l’île à lancer la première voiture électrique, on m’avait dit que la voiture électrique n’était pas la solution pour Maurice tant qu’on brûlait du charbon pour produire de l’électricité. Aujourd’hui, comme vous pouvez le constater, les données ont changé, surtout que tous les fabricants se mettent à l’électrique. Les coûts baissent et vont continuer à baisser et la technologie photovoltaïque devient de plus en plus accessible. Le CEB devient plus flexible et raisonnable concernant la vente d’électricité sur le grid. L’avenir s’annonce maintenant prometteur pour les voitures électriques.

De nombreux obstacles demeurent sur le marché des véhicules électriques : le prix et l’absence d’un réseau de bornes de recharge à travers l’île. Comment y remédier ?

Bien que le prix de la voiture électrique ait baissé ces dernières années, il reste toujours plus élevé que celui d’une voiture hybride ou à moteur thermique. Mais aujourd’hui, il existe quand même des facilités de financement telles que les green loans avec un taux d’intérêt préférentiel pour les voitures électriques, les frais d’enregistrement et la road tax qui ont été réduits de 50%. S’agissant du réseau de bornes de recharge, ce n’est pas vraiment pas un gros problème vu la superficie de notre pays et que les voitures électriques affichent une autonomie entre 300 et 600 km.

Malgré la crise, le parc automobile a progressé de 3,3 % en 2020. Comment expliquer cette progression dans un contexte économique compliqué ?

Il y a eu, en effet, une progression de 3,3 % du parc automobile, mais en ce qui concerne la vente de véhicules, nous avons constaté une chute de 21 % en 2020 comparativement à 2019 (19 424 contre 24 628). La pandémie nous a appris beaucoup de choses sur la façon dont le marché réagit dans les circonstances particulières, voire anormales. Après le confinement, nous avons eu quatre profils de clients avec des comportements bien définis. D’abord, il y a les sociétés qui ont essayé de retarder le renouvellement de leur flotte depuis plusieurs années et qui sont arrivées à bout. Ensuite, il y a ceux qui se sont dit que ce n’était pas le moment approprié de s’acheter une voiture et que cela pouvait attendre. Puis, on retrouve ceux qui ont réalisé qu’une voiture était devenue une nécessité pour la famille. Et finalement, il y a ceux qui avant la pandémie hésitaient encore à acheter la voiture de leur rêve et qui soudain réalisent qu’ils ne savent plus de quoi demain sera fait.

“L’avenir s’annonce prometteur pour les voitures électriques”

Avec la fermeture des frontières, la logistique a été au centre des préoccupations de toutes les entreprises. Comment vous y êtes-vous pris pour continuer à assurer l’acheminement des véhicules ?

Au tout début de 2020, la question d’approvisionnement ne se posait pas car nous détenions encore un stock adapté. Au fur et à mesure des fermetures et de l’inactivité économique, nous avons été confrontés au phénomène de surcapacité, qui aurait pu impacter significativement la performance d’ABC Automobile. Il fallait à tout prix relancer la vente, et je peux dire que nous avons pas mal réussi à ce niveau avec un marketing axé sur le digital. Le plus dur, en revanche, a été l’approvisionnement en pièces de rechange compte tenu du ralentissement du trafic aérien et maritime.

Le gouvernement a mis en place un «Rebate scheme». Cela a-t-il un impact suffisant sur les ventes pour permettre aux entreprises de maintenir la tête hors de l’eau ?

Le Rebate scheme (30 % de remise sur les droits de douane) a certainement aidé à maintenir nos ventes. Cette incitation a servi de contrepoids aux répercussions de la dépréciation de notre roupie vis-à-vis des principales devises étrangères, que sont l’euro, le dollar américain et le yen, variant de 10 % à 20 %. Les banques et les sociétés de leasing ont également joué le jeu en rendant les crédits plus attrayants. Comme les concessionnaires automobiles avaient une surcapacité de stock, il fallait afficher des prix plus attrayants. Le marché a bien réagi et a profité des différents deals proposés.

Il faut savoir que le marché automobile emploie plus de 10 000 personnes directement et indirectement. La performance du secteur automobile se reflète sur la santé de l’économie du pays. Si les voitures se vendent bien, l’économie va bien. Ce secteur représente une source de revenus non négligeable pour l’État, et je pense que la taxation punitive de 100 % sur les véhicules de grosse cylindrée et haut de gamme ne rapporte rien. Par contre, une taxation plus raisonnable (comme le Rebate scheme) rapporterait bien plus en termes de revenus à l’État.

Parlant de leasing, les taux d’intérêt pratiqués favorisent-il vraiment l’achat de véhicules ? Ne faudrait-il pas plus de concurrence dans ce secteur dans l’intérêt des acquéreurs de véhicules ?

Certainement ! L’acheteur aujourd’hui se focalise de moins en moins sur le prix d’un véhicule et se concentre plutôt sur la mensualité qu’il doit payer. C’est justement là que les taux d’intérêt proposés par les institutions financières et banques entrent en jeu. Le taux d’intérêt est un critère clé qui aidera l’acquéreur à choisir auprès de quelle société il souhaite prendre un leasing.

Variant entre 5 % et 6 %, ces taux sont beaucoup plus attrayants qu’ils ne l’ont été il y a quelques années. D’ailleurs, les green leases avec taux d’intérêt autour de 3,75% favorisent l’achat d’un véhicule hybride ou électrique. Les PME, pour leur part, bénéficient d’un soutien pour financer leurs véhicules avec un taux d’intérêt aussi bas que 3 %. La concurrence est déjà existante et les facilités offertes, que ce soit en termes d’intérêt ou de services associés, rendent l’achat d’un véhicule plus accessible.

En ces temps d’incertitude, le moral des employés prend un coup. Comment s’y prend le chef d’entreprise que vous êtes pour motiver les troupes ?

C’est vrai qu’au départ n’importe qui aurait pu se laisser aller au découragement. Pour nous, le premier signal à envoyer à notre personnel était de leur dire : «We are down but not out yet». Il fallait à tout prix garder nos objectifs en vue en fédérant les équipes autour de valeurs telles que la solidarité, l’esprit d’équipe, l’abnégation et l’engagement collectif. Des valeurs qui ont toujours uni la grande famille du Groupe ABC. Les grands boxeurs le savent : pour gagner, il ne suffit pas de donner des coups, mais il faut aussi être capable de pouvoir se relever quand vous êtes à terre.

«Nous avons constaté une chute de 21 % en 2020 comparativement à 2019 sur la vente de voitures»

C’est dans cette optique que j’ai revu mes priorités pendant le confinement pour allouer davantage de temps à mes collègues à travers des rencontres individuelles en ligne. Cela m’a permis de partager un moment de qualité avec mes équipes, ce qui a d’ailleurs porté ses fruits. C’est un exercice que je compte poursuivre car il me permet d’être encore plus à l’écoute et d’encourager personnellement les effectifs mais aussi de partager ma vision. Étant responsable d’une famille de 850 personnes, il est de mon devoir de donner l’exemple en me rendant disponible, voire accessible. D’ailleurs, la motivation des collaborateurs réside dans l’art de la parole et pas que dans l’écriture, et je privilégie ces sessions de travail pour motiver les équipes. Il va de soi que la solidarité est primordiale pour surmonter la crise et je ne manque pas de leur dire : «United we stand and together, we’ll never walk alone !»

Par ailleurs, la montée en puissance des commandes en ligne était à nos yeux un bon filon à exploiter, en particulier pour notre segment de véhicules utilitaires légers. Alors que le marché que représente le secteur de la construction était encore en effervescence, on se disait, non sans raison, que tout n’était pas perdu et qu’il y avait encore des choses à faire au niveau des camions et pick-up. Rester les bras croisés et attendre la fin du confinement était loin d’être la planche de salut. Pendant plus de deux semaines, et en exploitant les outils de communication à distance, notre force de vente s’est mise en œuvre pour appliquer une stratégie commerciale pour chacune de nos activités.

Par ailleurs, je dois dire que la formation de nos équipes fait partie de notre culture d’entreprise. À ABC Automobile, nous consacrons un investissement important à la formation continue de nos salariés. Les dernières connaissances acquises en matière de leadership et de développement personnel ont grandement aidé notre entreprise à passer ce cap difficile et ainsi à motiver nos équipes.

Quels seront les défis à surmonter cette année pour retrouver la croissance ?

D’abord sur un plan strictement sanitaire, je ne pourrais cacher ma préoccupation aussi longtemps que la population n’a pas été entièrement vaccinée. Même si la campagne de vaccination se déroule relativement bien, nous aurions dû être beaucoup plus réactifs. La réticence de certains face à la vaccination a fait perdurer la pandémie et a ainsi retardé l’ouverture de nos frontières et notre sortie de crise. Le Budget a certes donné le ton pour une réouverture de nos frontières et une relance de notre économie mais le voyage pourrait être encore très long.

Le Budget 2021-2022 contient des éléments positifs, surtout du côté du social. Il est aussi important de noter qu’aucune nouvelle taxe n’a été introduite, que ce soit pour l’individu ou le secteur privé. Par ailleurs, dans son discours budgétaire, le ministre des Finances a annoncé deux nouveaux piliers de l’économie, notamment l’économie verte et l’industrie pharmaceutique, auxquels l’État accordera une grande importance. Cependant, il faudra quand même renforcer nos piliers existants comme le secteur financier, le tourisme, la zone franche et l’industrie sucrière. Alors qu’on croyait le textile condamné, ce secteur s’est montré très résilient et a d’ailleurs été un atout majeur pour nos exportations depuis la crise sanitaire.

Par ailleurs, avec le prix du sucre qui a gagné en valeur sur le marché mondial, notre secteur sucrier se tire très bien d’affaire. Cependant, du côté du tourisme, essayer d’attirer 650 000 visiteurs cette année sera un véritable challenge et le secteur prendra, par conséquent, du temps pour se relancer. Pour notre secteur financier, il faudra pouvoir tenir jusqu’à ce que l’Union européenne nous retire de la liste noire. Il s’agira également de revoir notre secteur manufacturier et encourager la fabrication locale (même si elle n’est pas compétitive) afin que notre économie soit moins dépendante du fret et des produits importés.

Maurice a encore une carte à jouer concernant le secteur médical et le secteur éducatif en devenant un Education hub (avec des universités privées) et en développant le tourisme médical (avec des cliniques privées) pour la région africaine.

La réouverture apportera certes un nouveau dynamisme au pays, surtout en ce qui concerne les investisseurs étrangers ainsi que l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. Étant un petit État insulaire en développement, qui détient d’ailleurs une localisation idéale sur la carte mondiale, nous devons passer à l’offensive pour regagner notre compétitivité. Pour ce faire, nous devons être davantage disciplinés et avoir plus de rigueur au travail. Nous devons aussi nous adapter et relever les nouveaux défis et obstacles qui se profilent devant nous. Mais pour y arriver, il n’y a pas de recette miracle : «If there is no discipline and hard work, we won’t go far».

Il est aussi temps de se demander comment on peut s’entraider et faire primer notre sens du collectif au lieu de se plaindre ou trouver critiques à des broutilles. Maurice, avec ses 1 865 km2 et isolé au beau milieu de l’océan Indien, n’a pas manqué de se positionner sur la carte économique et culturel du monde au fil des années. Ce faisant, nous sommes devenus la cible d’adversaires internationaux qui guettent nos moindres faux pas pour nous devancer. J’ai l’impression que parfois, on ne réalise pas que nous sommes tous dans le même bateau et que nous devons nous battre ensemble pour préserver notre stabilité politique et nos intérêts géopolitiques. En voulant être trop transparents, nous nous tirons souvent une balle dans le pied et provoquons notre propre échec.

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