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Édito

Qui a confiance ?

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Philippe A. Forget

J’ai écrit, vendredi, après deux longues heures d’écoute du discours du Budget parfois un peu pénible, une ‘impression de séance’ **où je m’étonnais ironiquement du «miracle» qu’un Budget aussi populiste, avec une telle liste de dépenses et aussi peu de nouvelles taxes ait pu résulter en un déficit budgétaire de seulement 5 % du PIB. Alors que le PIB est, de plus, en baisse !

Ce vendredi soir-là, j’écrivais explicitement : «Sans regarder les ‘estimates’ détaillés, ce qu’il faudra évidemment faire au cours des jours à venir», avouant mon manque d’énergie ce soir-là. Il est maintenant possible de faire un meilleur survol de ce Budget, au-delà des serviettes hygiéniques et en puisant libéralement des réflexions de tiers avisés ou pas.

D’abord, si arithmétiquement le déficit est à 5 %, il eut été certainement plus honnête pour le ministre des Finances de dire, après la longue liste de projets énoncés, de dépenses et de cadeaux divers, le PRB étant même pré-annoncé, que «… le déficit nominal et la dette publique, comme on avait l’habitude de les comptabiliser avant les SPV et la bonté de la BoM, sont respectivement de x % et de y %. Voici, maintenant, comment je m’y suis pris pour arriver à 5 % et 95 % du PIB, à mon tour. Je prends évidemment quelques risques à estimer que la croissance sera à 9 % en 2021-22, que la TVA va augmenter de… 41 % et que la taxe sur les compagnies bondira par… 45 %, mais laissez-moi vous expliquer en détail pourquoi ça va marcher. Je vais aussi vous expliquer pourquoi il faut employer 11 % de fonctionnaires en plus, ce qui fait que la charge fiscale supportée par la population augmentera, elle, de 34 % par rapport à l’an dernier, alors que le gouvernement ne baissera ses dépenses que de 0,8 %» (1).

«Un an après l’annonce de la CSG qui remplace le NPF, le gouvernement ne démontre toujours pas comment sa proposition va tenir la route…»

Cette approche de vérité aurait eu un double avantage. D’abord, un langage de transparence aurait passé le message que nous sommes définitivement en situation difficile et qu’il est donc nécessaire de ramer dur et de se mobiliser pour s’en sortir. Comme conçu par Padayachy, il nous est proposé de croire qu’une illusion de normalité peut galvaniser à plus d’effort. Ensuite, il y a cette foutue question de confiance qui est, évidemment, comme il ne cesse de le répéter, à la base même de toute reprise économique réussie… Or, en présentant son Budget sous un masque (Covid oblige ?), ne sait-il pas, ne voit-il pas qu’il y a des experts-comptables, des économistes, d’anciens ministres avisés, d’anciens banquiers centraux, qui vont passer ses «estimates» et ses «annexes» à la loupe, entrer sous ses jupons et découvrir le(s) pot(s) aux roses ?

Quels que soient les mérites de ce Budget et ses chances de convaincre et de ‘restaurer la confiance’, le ministre s’est maintenant exposé à ce que le débat soit non plus sur la relance économique, mais déplacé sur ses tours de passe-passe et ses non-dits, ce qui sera lourd de conséquences diverses.

Au demeurant, vendredi, le ministre des Finances a joué au prestidigitateur, voulant, une fois de plus, vendre une façade apparemment correcte, racoleuse même, masquant ce qui se passe en cuisine. Le Budget de l’an dernier était «en équilibre». Il affiche 5,6 % de déficit à l’arrivée, ayant pourtant digéré Rs 60 milliards de la BoM. Celui de cette année est, au départ, en déficit par à peine plus que 5 %. Donc, tout va très bien, Madame la marquise…

Mais on ne pipe mot sur les anticipations d’inflation (dont celles découlant de l’érosion de la roupie) ou des estimations de la balance des comptes courants. De plus, un an après l’annonce de la CSG qui remplace le NPF, le gouvernement ne démontre toujours pas comment sa proposition va tenir la route, alors que le secteur privé annonce que la CSG va être déficitaire de Rs 6 milliards dès 2023 et que le NPF et la CSG auront des besoins de financement catastrophiques plus avant, le Dependency ratio se détériorant inévitablement. D’autant plus que le «targeting», l’indexation de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie et l’indexation de la pension payée (BRP) sur le salaire minimum ne semblent pas être considérés comme acceptables ou même nécessaires en la circonstance ! On ne dit rien, non plus, sur Air Mauritius et le coût de lui conserver un rôle dans la relance du tourisme, ni sur le port, sa productivité et son attractivité apparemment de plus en plus faibles pour les compagnies de fret et de logistique du monde… On ne nous explique pas en détail ce qui se passera de ce qui reste du fonds de guerre Covid-19 de Rs 147 milliards, seulement Rs 25 milliards ayant été explicitement dépensées… On n’a rien prévu pour les cas de contingence, comme celui de Betamax, par exemple. La DBM va aligner des prêts à 0 et 0,5 %, mais avec quelles ressources plafonnées ?

Il y a pourtant du positif dans ce Budget. L’ouverture du pays aux étrangers, y compris les médecins et les retraités, est bienvenue si elle est sincère et si elle peut encore attirer. Plus de flexibilité sur l’Occupation permit pourrait aider, le Regulatory Impact Assessment Bill pourrait être salutaire si elle permettait aussi d’éliminer les règlements dysfonctionnels ou inutiles, autant qu’elle permettait d’en améliorer d’autres. Les permis et licences «silence vaut consentement» c’est bien, mais on en entend malheureusement parler depuis… au moins Bunwaree ! Les ambitions pour l’énergie verte excitent, mais le CEB devra maintenant se financer autrement, vu que ses réserves de ‘cash’ ont été, avec celles de la STC, de la FSC et de la MPA kidnappées par le budget central (Rs 9 milliards, 1,8 % du PIB). La flexibilité additionnelle pour l’Invest Hotel Scheme peut, en effet, aider surtout si nous redorons notre image de démocratie et d’éthique politique et que l’on quitte la liste noire de l’Union européenne. Par contre, je suis sceptique sur l’industrie pharmaceutique où la taille du marché intérieur est capitale. Qui croit que les «essais cliniques et précliniques» sont facilités par une population de 1,3 million, d’ailleurs en baisse et que les Mauriciens seront des cobayes faciles ? Qui va jouer, ici, le rôle de la FDA américaine qui fait détruire 60 millions de doses de vaccins chez Johnson & Johnson parce qu’elles «pourraient» être contaminées ? (2). Le permis de travail aux étudiants étrangers devrait être décisif et ne déranger personne à 20 heures par semaine. S’il est éminemment souhaitable de favoriser l’industrie locale, est-ce vraiment réaliste d’obliger les magasins à aligner un «minimum shelf space» de 40 % pour la production locale ? 40 %, vraiment ? Vous trouvez cela crédible ? Comment fait-on au supermarché, chez Lacoste, chez Decathlon ou dans une… pharmacie ?

Les facilités en augmentation pour ceux qui sont sur le ‘registre social’ est un geste positif, mais n’est-il pas temps de faire le bilan du Plan Marshall et de s’assurer que c’est bien un marchepied vers des lendemains meilleurs, plutôt qu’une glissade vers la dépendance permanente ? Remplacer le Costal Radar Surveillance System paraît logique après la débâcle du Wakashio. Mais après la commission d’enquête, on remplacera le personnel aussi ?

Un ami me signale (qu’il en soit remercié !) que le Budget parle de drains depuis au moins 2010. Il y avait 124 projets cette année-là pour Rs 726 millions. En 2011, rebelote, avec Rs 3 milliards pour «waste water, solid waste» etdes drains. En 2014, on met sur pied la Land Drainage Agency. En 2016, on annonce, par contre, un «dedicated Land Drainage Authority» pour établir les priorités. En 2017, l’Authority est décrite comme toujours «upcoming» et on annonce Rs 1,3 milliard de drains sur 3 ans… En 2018, c’est le National Environment Fund qui prend le relais sur 25 sites et on fait l’acquisition d’un «high resolution and aerial 3D imagery Digital Elevation Model» pour actualiser la mappe des zones inondables et pour preparer un «full-fledged Land Drainage Master Plan». En 2019, on mentionnait encore 40 «high risk flood prone zones» et on alignait Rs 650 millions. L’an dernier, c’était Rs 1,2 milliard pour les drains. Cette année, on affiche encore… Rs 11,7 milliards pour 3 ans.

Vous croyez que cela va enfin suffire et que la PIMA (Project Implementation and Monitoring Agency) va s’assurer de drains bien faits, contractés compétitivement, qui vont enfin drainer le pays hors de son problème de… drainage ?

Pensez, ici, à Kistnen. Ou aux achats médicaux, en urgence, Pack & Blister comprise, lors du premier confinement en 2020.

Qui a confiance ?

Certainement pas moi !

 

Philippe A. Forget

 

** Que la rédaction choisissait d’affubler du surtitre ronflant et inexact de «ANALYSE» 

(1) https://www.pwc.com/mu/en/events/budget/message.html

(2) https://www.nytimes.com/2021/06/11/us/politics/johnson-covid-vaccine-emergent.html

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