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Édito

Les risques sont pris, quelles sont les conséquences ?

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Philippe A. Forget - Business Magazine

Philippe A Forget – Les risques sont pris, quelles sont les conséquences ?

L’histoire de l’humanité, comme on le sait tous, est parsemé d’instances où il fallait faire un choix entre prendre un risque et jouer la prudence. Ceux qui prennent un risque pour changer leurs horizons ne réussissent évidemment pas toujours, sont généralement assez isolés au départ et vont pouvoir, s’ils sont dans le vrai, convaincre les plus conservateurs, généralement par petites touches sur une période plus ou moins longue. Sauf apparemment pour les fadaises – ceux que d’autres appellent la ‘mode’, les mythes, les théories de conspiration ou les vérités alternatives qui peuvent, indifféremment, (et rapidement) produire le yeti, QAnon ou le ‘Flat Earth Society’… Quand Ibn Battûta débuta son long périple de 117 000 km (les voyages du navigateur Zheng He font 50 000 km et ceux de Marco Polo seulement 24 000 km), il prenait des risques de toutes sortes mais prévisibles, même si au départ, il suivit des routes dominées par des sultans de sa seule religion. Quand Galileo Gallilei soutenait la théorie de l’héliocentrisme en 1633, il prenait des risques plus ou moins connus face aux dogmes approuvés, au point qu’il fut condamné par l’inquisition plus d’un siècle après la théorie de Copernic ! Darwin hésita longtemps avant de publier sa théorie de l’évolution, tétanisé à l’idée de déplaire à son épouse et aux théologiens anglicans de l’‘establishment’ anglais et ne prit le risque qu’au moment où il vit apparaître Wallace avec ‘sa’ théorie. De nombreux téméraires auront défié la gravité pendant quelques décades avant les frères Wright. Qualifiés de ‘fous’, ils connaissaient les risques. Qui aurait pensé que la moisissure de Fleming allait pouvoir combattre les germes de Pasteur ou que la vaccination de Jenner allait pouvoir éliminer, voire largement contrôler des maladies graves comme la variole, le tétanos, la diphtérie, la coqueluche, la poliomyélite, la rougeole ou la fièvre jaune ? Comme on va le faire avec la Covid – avant ses mutations possibles.

Plus près de nous, il a fallu surmonter les doutes de nombreux sceptiques, initier de nombreuses tentatives, mobiliser du temps et beaucoup d’investissements pour concrétiser la laparoscopie, le véhicule électrique ou Internet. On nous promet pour bientôt l’avion à hydrogène. Gageons, à voir les soucis de Boeing et les difficultés du tourisme dans le sillage de la pandémie, que ce développement ne sera pas sans risque, non plus. Mais ces risques sont au moins balisés. Sur le plan de l’économie, par contre, la pandémie de la Covid-19 nous aura forcé à une prise de risque anormale dont nul ne connaît, à ce stade, toutes les conséquences. L’orthodoxie économique nous aura longtemps enseigné que le déficit budgétaire est mauvais et que l’endettement ne doit pas dépasser certaines normes. Ces douze derniers mois, dans une ruée de tous les moutons de la planète dans la même direction, ces deux notions ont été sérieusement secouées. Au point que, à Maurice, nous avons fait disparaître le plafond de la dette nationale permise, par rapport au PIB ! La dette ne s’est pas fait prier pour s’envoler… Qui plus est, et à contresens économique, les taux d’emprunts ont baissé partout ! 23 pays européens empruntent ainsi sans payer d’intérêt, ces jours-ci. On paie même le Danemark et la Suisse pour qu’ils empruntent ! Le risque est pris, mais les conséquences sont inconnues pour l’heure… Lors de la pandémie de grippe espagnole (GE) de 1918-20 qui infecta environ 35 % de la planète et qui fit, selon les estimations, entre 17 et 50 millions de morts (0,9 à 6 % de la population mondiale de l’époque), on n’a jamais volontairement stoppé ou sévèrement freiné les économies mondiales comme cette fois-ci. Si les conséquences économiques de la Covid sont inconnues, l’on sait par contre, qu’à ce stade, la Covid-19 a infecté, selon Worldometers, seulement 91 millions d’humains (1,1% de la population mondiale, soit 30 fois moins que la GE), qu’il y a jusqu’ici presque 2 millions de morts (0,026 % de la population mondiale, soit au moins 35 fois moins que la GE) et que le ralentissement économique est déjà plus de deux fois plus grave ! Clairement nos systèmes de santé sont bien mieux équipés qu’il y a cent ans et l’immunité ‘de troupeau’ viendra cette fois du vaccin plutôt que naturellement, mais le contraste de ces deux épidémies, à 100 ans d’intervalle, est tout de même frappant !
L’intervention massive des banques centrales (les 158 milliards de notre BoM équivalent à
36 % du PIB estimé de 2020 !) est justifiée par le fait que l’on peut ainsi faire tourner une
économie que l’on a soi-même mis en panne, au moins partiellement. L’économie de marché, qui,
en temps normal, enterre ses compagnies les plus faibles et récompense les plus fortes, n’a plus
tout à fait cours quand il est interdit de licencier ou même de fermer, puisque l’État soutient. Les
masses monétaires gigantesques qui sont injectées partout dans le monde grâce, entre autres,
aux faibles taux d’intérêt ont aussi le résultat particulier de doper les valeurs financières alors
même que les économies réelles souffrent. Tesla, Bitcoin, les compagnies du Net jugées
bénéficiaires des lockdowns, l’or sont autant de valeurs spéculatives/refuges du moment. Qui voit
les conséquences ?
À Maurice, on peut déjà entrevoir certaines des retombées de la pandémie. Mais l’avenir à moyen terme reste peu lisible, même si a priori inquiétant. Comparant 2020 à 2019, le PIB est de 32,9 % inférieur pour le deuxième trimestre. Notamment, avec les provisions faites, la profitabilité des secteurs bancaires et non bancaires chute. Les stress tests de nos banques, s’ils indiquent une grande résilience, soulignent qu’il y a certaines banques qui font désormais face à de réels risques de liquidité. Si la roupie est restée relativement stable, depuis mai 2020 face au dollar, la devise commerciale principale du pays, notre roupie aura, en un an, tout de même perdu 18,7 % face à l’Euro, 8,1 % face au dollar, 17,1 % face au yuan chinois et 6,9 % face à la roupie indienne. Inflation ! Le crédit bancaire, en pourcentage du PIB, a augmenté de 10 points à 82,4 %, illustrant non pas des investissements, mais bien plus la chute du PIB et probablement le financement de pertes. Le secteur «accommodation and food sector services» regroupant le tourisme, toujours en panne, est, sans surprise, celui dont le crédit progresse le plus fortement d’une année à l’autre (+Rs 18 milliards ?). Des chiffres publiés dans le Financial Stability Report de décembre 2020 indiquent que la pandémie, la liste grise du FATF et celle, noire, de l’UE ont fait chuter le nombre de nouvelles compagnies enregistrées, de 19 %, alors que le nombre de GBC au total reste stable – ce qui est plutôt bon signe dans le sens qu’il n’y a pas de fuite massive visible jusqu’ici. Par ailleurs 40 % des GBC s’orientent maintenant sur l’Afrique, alors que le chiffre correspondant pour l’Inde s’effrite à 34 %, ce, pendant que les volumes d’investissements restent plus de 8 fois plus importants pour l’Inde que pour l’Afrique au 30 juin 2020… Pour le reste, on spécule tous et il faudra attendre les mois à venir qui vont nous livrer leur verdict. Watch this space !

Philippe A. FORGET
*Le tourisme représenterait 8 % sec du PIB selon le ministre des Finances, 15 % selon l’économiste Eric Ng qui fait une estimation réaliste de l’activité périphérique et jusqu’à 24 % selon l’ARHIM qui extrapole des chiffres internationaux.

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