LOADING

Type to search

Archives Debate

Crise de gouvernance – Redessiner le lien entre le citoyen, l’État et l’économie

Share
Crise de gouvernance - Redessiner le lien entre le citoyen

«Il y a une certaine frustration dans la population»

Certains sont descendus dans la rue parce que la coupe déborde. Probablement, le déclencheur a été le Wakashio. Mais il y avait aussi d’autres raisons. Pourquoi ce mal-être de la part des Mauriciens ? Peut-être que dans leur subconscient, cela remonte depuis les élections de 2019. Le gouvernement a été élu démocratiquement avec moins de 40 % des suffrages. Deux tiers de l’électorat n’a pas voté pour ce gouvernement. Devant cette constatation, notre système électoral a une faille. Parce que pendant les élections précédentes, deux blocs s’affrontaient. Tandis que cette fois-ci, il y avait une opposition divisée. C’est l’une des raisons pourquoi la population est mécontente. Il y a une certaine frustration. Notre système électoral n’est pas bon car il oblige les partis à se constituer en blocs. En 2019, il y a eu un bloc et de l’autre, il n’y en avait pas. Il y a eu trois opposants. Il faudrait qu’on introduise la représentation proportionnelle, c’est-à-dire, garder notre système actuel mais avoir un certain nombre de députés qui seraient élus selon ce système.

Aujourd’hui, ça me chagrine quand l’opposition vient dire que le gouvernement a été élu avec une minorité de voix. Mais quand l’opposition a été au pouvoir, elle n’a rien fait pour introduire la représentation proportionnelle.

La deuxième raison est le népotisme. On l’a senti dans la nomination de personnes à des postes décisionnels dans certaines institutions. Puis, ceux qui sont en train de gouverner veulent avoir des personnes qui ont les mêmes idées qu’eux à la tête de ces sociétés. Mais là, ce n’est pas seulement les idées, mais ce sont les amitiés ou les liens de parenté. Le public l’a vu et est mécontent, et a raison.

En outre, il y a cette fameuse loi qui a été votée pendant le confinement, le Covid-19 Act ; je ne dis pas que tout ce que comporte cette loi est mauvais. Mais il contient des mesures difficiles. Il fallait l’expliquer à la population et faire comprendre que dans des circonstances difficiles, il faut des mesures difficiles. Il y a eu un déficit de communication. Cette loi a été votée rapidement. La Covid-19 nous affecte tous. Le gouvernement doit montrer qu’ils sont là pour gouverner de manière juste et avec une attention particulière envers ceux qui sont au bas de l’échelle. L’État a amplement communiqué pendant le confinement, mais pas pour le Wakashio.

En ce qui concerne la fonction publique, il faudrait lui donner son indépendance. Quand le Conseil des ministres se rencontre tous les vendredis, il adopte une politique. Et cette politique doit être mise en pratique par les fonctionnaires. Il faut laisser les fonctionnaires travailler selon tous les protocoles du civil service et ne pas les influencer. Je fais référence à une série télévisée satirique britannique, Yes Minister. L’émission évoquait des problèmes. Tout ce que le ministre disait, le civil servant répondait «Yes Minister». Il ne faut pas oublier que le civil servant est un serviteur de la société civile et non le serviteur du ministre. Il est d’ailleurs payé par l’argent des contribuables. Il doit respecter la consigne politique et la politique que le ministre mène. Pour moi, c’est ça la réforme.

Par contre, notre système judicaire est notre dernière planche de salut. Il est à mon avis indépendant. Je citerai là la doctrine de la séparation des pouvoirs. Montesquieu a écrit dessus. Il approfondit sur le politique, le religieux et le judiciaire. Peu importe la région, il ne doit pas être au pouvoir. Dans la constitution de Maurice, le DPP et le Director of Audit ne sont redevables envers aucun ministre. Le judiciaire, il faut le protéger de l’ingérence politique.

Quid de l’économie et de l’investissement ? Les crises risquent d’avoir un impact sur ces secteurs. Mais heureusement que les sorties dans les rues ont été pacifiques. N’oublions pas que notre industrie principale est le tourisme. On ne peut que souhaiter qu’elle redémarre. Les touristes n’ont que faire de venir dans un pays où les gens sont constamment dans la rue. Je ne dis pas que c’est le cas ici. Autrement dit, notre situation sociale mauricienne doit projeter un climat pacifique et harmonieux. Dans toute situation difficile, il faut avoir un œil particulier sur les pauvres, les déshérités et qui vont souffrir davantage que ceux qui sont au haut de l’échelle.

https://www.business-magazine.mu/wp-content/uploads/2020/11/pierre-dinan_20201007110215.jpg"

«Le gouvernement doit montrer qu’il est là pour gouverner de manière juste et avec une attention particulière à ceux qui sont au bas de l’échelle»



«Il faut avoir une certaine sérénité politique»

Le gouvernement n’a pas joué le rôle qu’il fallait, c’est-à-dire, chercher un consensus et aller vers le losers’ consent. Pendant la Covid-19, il n’y a pas eu d’appel à l’opposition et à la société civile. Ce qui dérange aussi le peuple, ce sont les nominations. Il est clair que les citoyens devaient réagir (…) La classe politique a confisqué les élections.

Puis, la situation politique est loin d’être idéale. C’est le worst political scenario. Il est vrai aussi que le contexte international est difficile. C’est la pire crise depuis 1945 et même le ministre des Finances a dit que nous sommes en pleine récession. Comment sortir de là ? Il n’y a pas beaucoup de visibilité. Avant la Covid-19, le FMI prédisait une possible récession mondiale. Depuis 2008, les choses ne se sont pas bien arrangées. À Maurice, il y avait déjà des problèmes. Le nouveau coronavirus et le naufrage du Wakashio sont venus aggraver les choses. Le gouvernement essaie de camoufler cela en augmentant la dette publique, en prenant de l’argent avec la Banque centrale, entre autres. Ce n’est pas une situation saine ; Maurice pourrait devenir comme la Grèce.

De plus, tout cet argent annoncé dans le Budget, seulement un tiers va être dépensé. Il faut avoir une certaine sérénité politique. Les citoyens sont dans la rue et l’économie est au plus mal… Il faut s’attendre à beaucoup de choses. Puis, les frontières vont ouvrir bientôt : imaginez un cas de Covid local en décembre ; c’est le mois où il y a le plus d’activité économique. Imaginez un lockdown !

Jocelyn




«Nous sommes entrés dans une ère de défiance vis-à-vis de l’exercice du pouvoir à Maurice»

Je resterai prudent à utiliser le terme «Printemps mauricien» dont l’analogie avec des révoltes et des soulèvements en Afrique du Nord me semble, pour l’instant, inadéquat. Ce qui me semble par contre certain, c’est que nous sommes entrés dans une ère de défiance vis-à-vis de l’exercice du pouvoir à Maurice, et cette défiance a acquis une visibilité revendiquée avec les démonstrations de rue. La visibilité est une donnée même, notamment suite au désastre du Wakashio et au drame du Sir Gaëtan. La question principale pour moi est, à partir de là, comment va évoluer et se transformer cette visibilité ? Que va-t-elle produire comme phénomène politique ? Nous le verrons bien.

Tout gouvernement positionne son intelligentsia et ses hommes et femmes de confiance dans les postes clés de l’administration publique afin d’avoir les moyens de mettre en place son programme. Cette pratique est courante, et pas seulement à Maurice. Le problème fondamental est que nous semblons avoir basculé dans une culture où la majorité des nominations sont perçues comme des retours de faveurs pour des services rendus – notamment pendant les élections. Et si nous allons plus loin, que cette manière de faire les choses surpasse désormais l’impératif que ces nominés aient les compétences requises pour exercer les fonctions pour lesquelles ils sont nommés.

La question de la réforme me semble absolument essentielle. Mais avant de proposer des réformes d’envergure, nous devons nous poser les bonnes questions. Il nous faut comprendre comment fonctionnent nos institutions et comment elles forment un système dont l’objectif est de produire des effets de pouvoir clairement définis. Il nous faut également comprendre comment la donne mondiale est en train d’évoluer afin de pouvoir commencer à définir la place de Maurice dans le monde. Ce n’est qu’à partir de là que nous pourrons proposer des modernisations sérieuses. Pour moi, l’objectif assumé de toute réforme serait de redessiner le lien entre le citoyen, l’État et l’économie – ce qui implique d’autres manières de construire l’État postcolonial à Maurice, par exemple. Nous avons donc vraiment un impératif de compréhension, d’analyse critique et de réflexion avant même de pouvoir parler d’action.

Je n’ai eu de cesse de le dire : la Covid-19 est venue enrayer la machine de la globalisation comme un scrupulus qui arrêtait la marche en avant des légions romaines. Nous sommes, à Maurice, clairement pris dans cette situation du fait de l’importante connectivité de notre économie aux flux de la globalisation. De ce fait, la relance économique et l’investissement seront impactés. Mais, encore une fois, c’est à nous de nous réinventer, de proposer d’autres avenues de développement, d’autres formes de valorisation de nos ressources. Nous entrons, de ce fait, dans une période de transition – qui risque de durer –, mais nous avons toutes les chances de sortir grandis de cette période si nous faisons les bons choix.


Tags:

You Might also Like

Leave a Comment