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Relance par la consommation : Une épée à double tranchant

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Afin de remettre le pays sur la voie d’une croissance forte, le gouvernement fait le parti pris de tabler sur une stratégie de relance qui sera en grande partie tirée par la consommation. Est-ce la bonne approche dans la conjoncture actuelle ?

La priorité des priorités est d’accélérer la sortie de crise. Le Trésor public place la barre haut en tablant sur une croissance de 9 % en 2021-2022 et un produit intérieur brut (PIB) de Rs 500 milliards.

Pour réussir un tel tour de force, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, prône une stratégie de relance grandement tirée par la consommation qui permettra notamment d’augmenter les recettes fiscales à Rs 110 milliards. Une politique qui pourrait donner des résultats concrets quand on sait qu’à Maurice, environ 90 % du PIB est généré par la consommation.

Pour dynamiser la demande, on relève deux principales stratégies : le paiement d’un cashback de 5 % à ceux qui envisagent d’acheter un bien immobilier ou de construire une maison et le paiement du PRB (Pay Research Bureau) à quelque 103 000 fonctionnaires et employés des corps parapublics. Un exercice qui pourrait coûter Rs 8,5 milliards au gouvernement sur les trois prochaines années.

Cette approche keynésienne repose sur le postulat que c’est la demande qui crée l’offre. Mais le principal risque, c’est que si l’effet multiplicateur de cette consommation ne se matérialise pas, nous nous retrouverons avec un déficit budgétaire plus lourd de ce qui a été anticipé. Sans ce dynamisme économique, sans cet essor de la consommation, le risque est gros. Et si l’on se base sur le dernier Household survey, on constate que les ménages ont du mal à rembourser leurs dettes.

Il faut savoir qu’au cours de ces dernières années, le gouvernement a investi des sommes importantes dans des projets et des activités publiques. Le montant total de la dette des collectivités locales est estimé à Rs 419,1 milliards en 2021 et Rs 456,6 milliards en 2022. Le risque de dettes impayées pourrait encore devenir une réalité. Il convient de rappeler que l’une des principales raisons pour lesquelles la crise financière américaine s’est propagée en 2009 était la surconsommation du peuple américain au cours des décennies précédentes. Et la majorité de cette surconsommation a été soutenue par le crédit bancaire.

Selon Jaya Patten, directeur de Jaya Advisory Financial Markets, Risks and Governance, tabler un taux de croissance fort est louable. La controverse porte sur le levier économique utilisé pour atteindre l’objectif. Viser un niveau de PIB nominal n’est pas un but en soi. Car le but de la croissance est de créer de la richesse pour rehausser le niveau de vie de la population, y compris les couches moins favorisées. «Si ce levier en question résulte en une accélération de l’inflation et des déséquilibres macroéconomiques non soutenables, le jeu n’en vaut pas la chandelle. La réalité économique dans le contexte post-Covid-19 fait que le ministre des Finances avait une marge de manœuvre fiscale extrêmement limitée pour la conception du Budget. La décision d’opter pour une croissance tirée par la consommation semble être plus par défaut que par dessein», observe Jaya Patten.

Il ajoute qu’il est évident pour l’ensemble des observateurs économiques, et d’ailleurs comme souligné dans les récents rapports du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, que le modèle de croissance est déséquilibré et non durable. Cependant, étant donné la récession induite par la pandémie, il semble que le gouvernement a estimé qu’il n’avait pas le capital politique pour appliquer le remède économique approprié.

Plus de 90 % du PIB est généré par la consommation

«C’est un état de fait que nous constatons dans de nombreuses économies à la fois développées et en développement. La politique l’emporte sur l’économie. La perspective d’une double gifle : augmentation du chômage et inflation élevée crée un climat toxique qui effraie les politiciens. Le compas de l’élaboration des politiques économiques reste le cycle électoral», soutient-il.

Le Dr Bhavish Jugurnath, économiste, est, lui, d’avis que la Covid-19 a retenu toute l’attention des décideurs politiques, et une fois la pandémie maîtrisée, le problème de la lenteur de la croissance à long terme reviendra. La priorité des décideurs économiques devrait être de maintenir l’emploi, les revenus familiaux et la viabilité des entreprises. L’économie a connu deux contractions économiques successives et viser une croissance de 9 % sur les infrastructures, le tourisme, la production médicale et l’économie verte n’est à son avis pas réalisable, au moins dans une année. Le rapport du FMI et le récent rapport de la MCB le confirment avec une croissance respective de 5 % et 6 %.

«S’appuyer sur la consommation pour stimuler l’économie n’est peut-être pas la stratégie idéale et l’investissement privé devrait également être au centre des préoccupations. Cela a été souligné dans un rapport du FMI publié en mai 2021. Maurice ne devrait pas abandonner le modèle axé sur les exportations et devrait maintenir sa consommation à un niveau sain, qui ne soit pas excessivement dépendant du crédit. Cela peut garantir que la croissance économique de Maurice atteindra un niveau plus élevé», souligne le Dr Bhavish Jugurnath. Et de faire ressortir qu’il existe trois principaux types de consommation : la consommation publique, la consommation des entreprises et la consommation privée. Les statistiques montrent que la surconsommation est une caractéristique commune aux trois catégories.

JAYA PATTEN (DIRECTEUR DE JAYA ADVISORY FINANCIAL MARKETS, RISKS AND GOVERNANCE)

JAYA PATTEN (DIRECTEUR
DE JAYA ADVISORY
FINANCIAL MARKETS,
RISKS AND GOVERNANCE)

Dr Bhavish Jugurnath

DR BHAVISH JUGURNATH
(ÉCONOMISTE)

Concernant la surconsommation, elle est le résultat d’un excès de crédit ou d’un endettement excessif, et elle peut entraîner de gros risques en termes de lourdes pertes pour les prêteurs comme les banques et autres institutions financières.

Autant de raisons qui font que certains observateurs sont d’avis qu’il ne faut pas se servir de la consommation pour amener la croissance. Avis que partage Jaya Patten dans le contexte actuel. «Face à des déficits budgétaires et courants chroniques, il y a un besoin urgent de repenser la stratégie économique. Il faut renouveler les moteurs de croissance. Cela nécessite des changements structurels et une évolution vers une stratégie de croissance tirée par l’investissement. Certes, concevoir et mettre en œuvre une telle stratégie n’est pas trivial. Cela demande la vision, le courage et le savoir-faire économique. Elle nécessite une alchimie particulière de leadership stratégique, de savoir-faire tactique et de mise en œuvre martiale pour y aboutir. Il faut également une communication transparente destinée à la fois à la population locale et aux opérateurs des marchés financiers internationaux. Malheureusement, c’est souvent trop demander pour la plupart des gouvernements, en particulier des économies émergentes», argue-t-il.

Par ailleurs, le Dr Bhavish Jugurnath rappelle que la consommation est le but, mais c’est la production qui est le moyen. Où ces «consommateurs» obtiennent-ils leur argent pour le dépenser ?, se demande-t-il. Avant de pouvoir consommer, nous devons produire et gagner un salaire. Et les chèques de paie doivent être productifs, c’est-à-dire un comportement créateur de valeur, ou la valeur est simplement transférée et détruite. Dans la plupart des cas, la consommation est le résultat plutôt que la cause de la croissance.

Précarité de la balance des paiements

La question est aussi de savoir si Maurice a atteint un niveau de maturité économique où nous pouvons compter sur la consommation, compte tenu de la précarité de la balance des paiements. Se basant sur des critères économiques objectifs, Jaya Patten ne pense pas que cela peut être le cas. Car la promotion d’une stratégie de croissance tirée par la consommation, dans une économie qui fait face à un problème chronique de balance des paiements, n’a pas de fondement économique. Il précise que le FMI a déjà tiré un coup de semonce dans le dernier rapport sur le rôle de la Banque centrale dans le financement de ce type de politique économique insoutenable.

D’un autre côté, même si le revenu par habitant a fait que nous avons atteint le statut de pays à revenu élevé, nous ne pouvons toujours pas dire que Maurice est un pays à revenu élevé, car le «revenu» lui-même ne nous démontre pas sa relation avec la consommation réelle. Seules les données de consommation réelle peuvent servir de jauge pour mesurer le pouvoir de revenu réel d’un pays. À ce sujet, le Dr Bhavish Jugurnath pense que nous devrions établir notre propre norme de «consommation réelle» pour examiner si notre économie est saine ou non à différents moments, et créer de nouveaux stimulants pour booster l’économie réelle. Normalement, la plus grande partie de la consommation privée est payée à crédit. En particulier, les achats de maisons et de voitures sont financés à crédit. Pendant ce temps, si l’on regarde les autres économies, en Europe principalement, les gouvernements ont même annoncé des politiques de stimulation et de maintien de la consommation, encourageant de fait la surconsommation, dans le but de réduire les surcapacités locales.

 

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